Commentaire :
Le regard perdu vers le ciel, assise sur une peau de bĂªte posĂ©e Ă mĂªme la roche au bord d'une mer calme, une ravissante jeune femme se retrouve seule après que son amant ait embarquĂ© sur les flots pour ne plus revenir. En a-t-elle conscience ? La sĂ©rĂ©nitĂ© qui Ă©mane de son visage et de son attitude semble indiquer qu'elle espère encore son retour. Bien loin des schĂ©mas habituels de la reprĂ©sentation de l'hĂ©roĂ¯ne mythologique, Nicolas-Auguste Laurens propose ici une vision apaisĂ©e d'Ariane abandonnĂ©e par ThĂ©sĂ©e sur l'Ă®le de Naxos : pas de gestes tragiques ni de regards Ă©perdus vers une petite voile s'Ă©loignant au large mais une femme au corps gracieux se reposant au bord de l'eau dans la simplicitĂ© de sa nuditĂ© et des Ă©lĂ©ments qui l'entourent.
Lorsqu'il expose cette grande toile au Salon de 1887, Nicolas-Auguste Laurens est l'élève de Thomas Couture et de Louis Devedeux, tous deux héritiers de l'art soigné et minutieux de Paul Delaroche. Le nu féminin occupe une grande place dans sa production, et tout particulièrement les compositions illustrant des jeunes femmes en bord de mer jouant dans les vagues ou avec des coquillages ou des petits crabes ('Les caresses de la vague', exposé au Salon de 1891, 'Sous la vague' en 1898 ou encore 'Le frisson' à Mulhouse en 1908). Ariane abandonnée semble inaugurer cette série, le peintre se dégageant par la suite du prétexte mythologique.
Bien que reprĂ©sentĂ©s de profil, les traits de cette femme sont bien identifiables et il s'agit très certainement d'un portrait d'un illustre modèle parisien de cette pĂ©riode : Sarah Brown, muse notamment de Georges Rochegrosse et de Jules Lefebvre. NĂ©e Ă Paris en 1869, Marie Royer (ou Roger) choisit son pseudonyme en hommage Ă Sarah Bernhardt et Ă©tait rĂ©putĂ©e pour sa grande beautĂ©, caractĂ©risĂ©e par un corps de statue, une peau d'une grande blancheur et une longue chevelure dorĂ©e. DotĂ©e d'un tempĂ©rament de feu, elle suscita le scandale - qui la mènera jusqu'au procès - en incarnant une ClĂ©opĂ¢tre très dĂ©vĂªtue dans l'un des tableaux vivants du bal des Quat'z'Arts de 18931.
Bien loin de l'agitation des nuits parisiennes, elle apparaît ici dans l'attente confiante, ses longs cheveux roux se confondant à la fourrure sur laquelle elle repose, laissant voguer ses pensées au gré du bruit des vagues.
1. Voir M. Lathers, " Sarah Brown ", in J. Berk Jiminez (dir.), 'Dictionary of artist's models', New York, Londres, 2013, p. 86-88.