Commentaire :
Peintre lyonnais, Laurent Pécheux fait son apprentissage dans sa ville natale après un court passage à Paris dans l'atelier du célèbre Charles-Joseph Natoire. De nature indépendante, il ne passe pas par l'Académie royale de peinture et de sculpture, ce qui ne l'empêche pas de se rendre à Rome en 1753 à l'âge de 24 ans. Là-bas, il rejoint rapidement l'atelier d'Anton Raphael Mengs et fait également la connaissance de Pompeo Batoni, deux peintres qui dominent alors la scène artistique romaine. Proche de Johann Joachim Winckelmann, archéologue et théoricien prônant un retour aux principes de l'art grec qui avait selon lui atteint le Beau idéal, Mengs cherchait à restituer sur la toile la pureté des lignes de l'art antique et des grands maîtres. Sous son influence, Pécheux devint un peintre "romain" dans la tradition de Raphaël.
En cette seconde partie du XVIIIe siècle, l'Antique est redécouvert, exhumé, restauré, collectionné et étudié. Le musée du Capitole s'enrichit tout au long du siècle des chefs-d'œuvre de l'Antiquité offerts ou achetés par les papes successifs. Pécheux est ainsi immergé dans cet univers, également habité par les approches nouvelles de Piranèse, défenseur de la création étrusque et romaine. Très vite, il s'affirme comme l'un des représentants les plus accomplis de la peinture d'histoire dans la Ville éternelle. Sa réputation lui permet d'obtenir de prestigieuses commandes et d'éminentes familles romaines, Borghèse et Barberini notamment, lui confient la décoration des plafonds de leurs palais urbains. Il travaille également pour des amateurs français, pour le grand-maître de l'ordre de Malte, le pape Pie VI, ainsi que l'impératrice Catherine II de Russie. Loin de sa ville natale, Pécheux n'est pourtant pas oublié par ses compatriotes et travaille aussi pour des commanditaires lyonnais. Ainsi, autour de 1754, il réalise un portrait de M. Rigaud, négociant à Lyon, qui n'est autre que le commanditaire de notre tableau, comme l'indique la " Note des tableaux que j'ay fait à Rome… ", manuscrit de l'artiste conservé à l'Accademia delle Scienze de Turin1.
La scène représente la fuite des célèbres amants Pâris et Hélène de Sparte, sous un ciel orageux. La figure inquiète d'Hélène contraste avec l'air déterminé de Pâris. La disposition des personnages en frise est clairement empruntée au répertoire antiquisant et fait écho au bas-relief antique des 'Danseuses Borghèse' présenté dans la villa éponyme de 1617 à 1807 et aujourd'hui au musée du Louvre. Les silhouettes drapées des suivantes de la reine rappellent les fresques pompéiennes dont l'artiste a pu découvrir avec les fouilles réalisées à Pompéï et Herculanum à partir de 1748. Pour figurer l'ancienne cité de Sparte, il s'inspire des monuments de la Rome antique (forums et amphithéâtres impériaux) ainsi que du Vatican de Bramante. Le tombé fluide des drapés et la délicatesse des profils s'inscrivent également dans l'esthétique de cette redécouverte du beau idéal. Le geste gracieux d'Hélène qui tente d'ajuster le voile sur son épaule renvoie au modèle de la statue grecque de la Diane de Gabies, également passé des collections Borghèse au Louvre.
Redécouvert et présenté lors de la récente rétrospective consacrée à Pécheux par les musées de Dole et de Chambéry, le tableau que nous présentons est le témoin d'une passionnante période de transition dans les arts et d'une brillante synthèse réalisée par l'artiste. Les nombreuses références classiques révèlent sa solide formation et sa culture nourrie par ses années italiennes et ses fructueuses relations. Les couleurs tendres et acidulées, la grâce qui émane des différentes figures ou encore le détail sensuel du sein dévoilé par Hélène dans sa fuite sont quant à eux caractéristiques des raffinements de la peinture du XVIIIe siècle. Le spectateur averti ne manquera pas de distinguer dans cette œuvre de 1760 les frémissements du Néoclassicisme qui verra Pécheux et ses contemporains évoluer progressivement vers un art de plus en plus idéalisé.
1. Publiée par L. C. Bollea, 'Lorenzo Pecheux, maestro di pittura nella R. Accademia delle Belle Arti di Torino', Turin, 1936-1942