Dessin original, avec légende autographe " Éluard de tête ". [Probablement 1942]. Mine de plomb, 15 x 9 cm, sur une p. d'un bi-feuillet in-8 encadrée sous verre, portant également :
- un autre petit dessin original (15 x 1 cm),
- un brouillon autographe signé " Jean Cocteau " (1 p. in-8 à la mine de plomb et 1 p. in-folio à l'encre au verso),
- et quelques annotations également autographes au crayon.
Cocteau et Éluard : une amitié tard venue. Cocteau, qui fut comme Éluard impliqué dans le mouvement dada, se retrouva ensuite en butte aux critiques des surréalistes : Éluard, notamment, manifesta bruyamment contre lui et déclencha même le scandale lors de la création de La Voix humaine en 1930. Les deux poètes ne se réconcilièrent qu'en 1942, alors que l'un, Éluard, était actif dans la Résistance (" Liberté [...] j'écris ton nom "), et que l'autre, Cocteau, poursuivait sa vie mondaine dans le Paris de l'Occupation. Il est à noter toutefois que Cocteau montra un certain courage, en ces temps troublés, à soutenir Jean Genet et à agir pour faire libérer Max Jacob (celui-ci mourut peu avant l'ordre de sa libération). Quand Éluard mourut, en 1952, Cocteau vint se recueillir à son chevet, le dessina et composa un poème :
" [...] La mort jalouse ceux qui vivent
Et connaissant par quels chemins
Tu nous rafraîchissait d'eau vive
Elle a même volé tes mains "
(Clair-Obscur, 1954).
Le second dessin représente un profil masculin prolongé vers le bas par un trait ondé séparant des points.
La protestation de Cocteau auprès du maréchal Pétain contre l'interdiction de sa pièce Renaud et Armide. Le brouillon autographe qui figure sur le même feuillet que le portrait d'Éluard, renvoie à cet épisode important de la vie culturelle sous l'Occupation : Cocteau vit sa pièce Renaud et Armide successivement reçue le 19 janvier 1942 par le comité de lecture de la Comédie-Française puis refusée le 21 janvier par l'administrateur Jean-Louis Vaudoyer sur ordre du secrétaire d'État Jérôme Carcopino. En février, il fit d'inutiles démarches pour obtenir la levée de cet interdit, mais n'envoya jamais la présente lettre qu'il avait écrite au maréchal Pétain :
" Il n'y a que 2 attitudes possibles dans la vie. Le héros militaire ou le saint. Napoléon est perdu par un traître. Le traître fait le chef. (Force de l'échec). Martyr. Dans notre domaine la sainteté ne donne que des ennuis, comme de juste. Car la ligne droite est incompréhensible au méandre... Quelquefois je me réveille la nuit et je me demande pourquoi on m'accable sous d'[effroyables ?] injustices. ... C'est le prix d'être propre. [Au verso :] Mais la presse que vous connaissez et qui s'acharne à dresser les Français les un contre les autres s'est empressée d'agir cette fois en silence. Sans doute mal renseigné par elle, Mr Carcopino, le lendemain de la décision du Comité, dit à Mr Vaudoyer, l'administrateur, que je n'étais pas un auteur désirable à la Comédie-Française.
C'était inadmissible pour moi, pour les lettres, pour la Comédie-Française où ma Voix humaine se trouve au répertoire et qui depuis des mois me priait d'écrire cette œuvre et en suivait la marche. C'est donc en mon nom et au nom des comédiens que je demande justice. Ma pièce passe après. Elle peut attendre. C'est mon honneur que je dois défendre et celui d'une maison qui devrait être inattaquable et qui se trouve, elle aussi, couverte d'insultes, par cette même presse qui me pourchasse et ose vous critiquer. Monr le Maréchal, ma seule politique est de vous suivre et de faire acte de foi en ce qui vous concerne. Ne m'étant jamais occupé de politique, je n'en saurais suivre d'autre. Croyant en vous, c'est à vous que je m'adresse. je n'ignore pas que votre lourde charge vous empêche de jeter les yeux sur de tels problèmes - mais j'ai une confiance aveugle en votre justice et je ne peux croire que l'honneur d'un écrivain qui a la gloire de la France dans tous les pays, vous laisse indifférent.
J'ose vous demander, monr le maréchal, de me donner votre aide et de ne pas permettre qu'on cherche pour atteindre un homme dévoué à votre grande cause, et pour cela même, de vieilles fautes de jeunesse, bien anodines, et des griefs imaginaires... "
Exposition
- JEAN COCTEAU, SUR LE FIL DU SIECLE. Paris, Centre Georges-Pompidou, puis Montréal, Musée des beaux-arts, 25 septembre 2003-29 août 2004. N° 231 du catalogue, avec reproduction.
Bibliographie
- BERGE (Pierre). Album Cocteau. [Paris], Gallimard, Nrf, Pléiade. Reproduction p. 260.
- FAUCHEREAU (Serge). Peintures et dessins d'écrivains. Paris, Éditions Belfond, 1991. Reproduction p. 121.