Le cliché-verre tient, par sa nature même, à la fois du dessin, de l'estampe et de la photographie. C'est avant tout un procédé de multiplication de l'image s'appuyant sur les techniques des débuts de la photographie. L'artiste va dessiner, non sur du papier ou pierre lithographique, mais directement sur une plaque de verre préparée. Celle-ci est rendue opaque par l'application d'une couche épaisse de collodion (vernis), parfois remplacé par de l'encre grasse ou de la couleur à l'huile. L'artiste peut alors travailler sur ce support avec des instruments divers : pointe d'acier, brosses, pinceaux. Une fois le verre dénudé à l'endroit du dessin que l'on veut obtenir, on utilise alors la plaque de verre comme un négatif photographique. Le tirage sur papier se fait par l'action de la lumière qui passe au travers du verre et marque un papier sensible, qui est ensuite révélé et fixé.

C'est autour du peintre et lithographe Constant Dutilleux (1807-1865), à Arras, que se constitue une équipe d'artistes passionnés par les applications de la photographie au dessin et à la reproduction des tableaux : L. Grandguillaume, professeur de dessin à l'école du Génie d'Arras, Adalbert Cuvelier, fabriquant d'huile et photographe amateur et Charles Desavary, peintre et photographe, qui devint le gendre de Dutilleux. Ce dernier est un grand amateur de Corot et il devient, dans les années 1850, un ami intime de l'artiste. C'est au cours de séjours à Arras que Corot, assisté de Cuvelier, Dutilleux et Grandguillaume, commence à pratiquer le cliché-verre. Il y prend goût, réalisant ainsi 66 sujets de ce qu'il appelle des " dessins sur verre pour photographie " sur une période d'une vingtaine d'années, entre 1853 et 1860, puis entre 1871 et 1874.

Une partie des plaques de verre de Corot furent conservées par Adalbert Cuvelier qui les transmit à son fils Eugène. Celui-ci fréquente Barbizon et épouse la fille de Ganne, le célèbre hôtelier des artistes. C'est là qu'Eugène Cuvelier contacte les peintres de Barbizon pour leur faire exécuter des clichés-verre : il en obtint 17 de Daubigny, 2 de Millet, 2 de Rousseau. Cette collection de plaques sera vendue en 1911 à l'amateur parisien Albert Bouasse-Lebel. En 1919, cet ensemble est acquis par le marchand parisien Maurice Le Garrec, qui édite en 1921 un nouveau tirage, Quarante clichés-glace de Corot, Daubigny, Delacroix, Millet, Th. Rousseau, tirés sur les plaques de la collection Cuvelier.

Nous présentons ici un des 5 exemplaires de tête de cette publication qui comprend, outre la série des 40 épreuves des clichés-verre, 40 autres épreuves des mêmes sujets mais tirés dans des tonalités différentes ou en contrépreuves. Dans ce dernier cas, lors du tirage, le verre est posé avec la face dessinée par dessus (alors que normalement, elle est dessous), de façon que la lumière diffuse à travers l'épaisseur du verre avant d'impressionner le papier. Dans ces contrépreuves, le trait est flou, irisé, des modelés apparaissent, les contrastes s'atténuent.