2 ff. in-4, papier pelure jaune. S.d. Signée "A.".
On sait les relations tourmentées que Saint-Exupéry entretenait avec les femmes. Dans ses Mémoires de la rose, Consuelo de Saint-Exupéry raconte les départs fréquents de son époux du foyer domestique et de ses nombreuses liaisons, en particulier une qui a duré avec Nelly de Vogüé. Cette lettre témoigne des rapports conflictuels qu'il entretenait aussi avec Nelly de Vogüé.
La correspondance entre Antoine et Nelly est inconnue… du moins en apparence, car les 22 lettres à Pierre Chevrier publiées en Pléiade (II, 932-980), dont seuls des passages nous sont livrés, sont en réalité adressées à Nelly de Vogüé, qui avait pris ce pseudonyme. Notons qu'en commentant ces lettres, à aucun moment les éditeurs ne lèvent le voile, ils se contentent de dire que dire en note : "Pierre Chevrier est le pseudonyme d'une personne qui a été très proche de Saint-Exupéry" (idem, p. 1446), sans dire qu'il s'agissait de son égérie et maîtresse. Evidemment, aucune de ces lettres à Monsieur Chevrier ne témoigne de liens amoureux...
"Voyez vous, Nelly, j'imaginais déjeuner avec vous. Je ne savais pas vous avoir blessée hier en m'amusant avec ce jouet […].
Vous m'en voulez profondément de mes téléphones de ce matin, mais je ne comprends pas quel croc-en-jambe a, chaque fois, changé une tentative de gentillesse en discussion âpre. Je vous supplie d'essayer de nous voir de l'extérieur. Quand j'ai décroché la première fois j'ai rencontré un mur. Le "pourquoi me dérangez-vous ?" tellement brusque et inattendu et que je vous ai toujours connu. Après ça, que dire ? c'est déjà fichu.
Je pense que c'est à cause de votre état que vous construisez comme méchante mon attitude d'hier : j'étais si content ! Et cette méchanceté, vous ne vous en êtes persuadée que peu à peu. Vous n'êtes pas partie me "pensant" méchant. Ca a été un mirage de votre fatigue, plus tard. […]
Croyez-vous que ce soit bien ma faute si nous sommes condamnés à vivre aujourd'hui une journée stupide et angoissante. Avec des téléphones tous tragiques. J'ai physiquement sur le cœur vos trois téléphones coupés en plein milieu de l'une de mes phrases. Ca gêne bien fort pour être détendu quand on appelle.
Ne me faites pas croire que c'est nécessairement et en profondeur que la vie entre nous doit être irrespirable. Cependant elle l'est aujourd'hui au lendemain même de nos promesses.
Que faut-il faire, mon Dieu ? Si vous croyez que je suis calme ! Et aujourd'hui, j'aurais tant aimé travailler dans la paix du cœur qui semblait faite.
Voulez-vous essayer ? C'est pour essayer que j'ai si bêtement appelé trois fois malgré le mur, malgré vos raccrochages.
Je vais encore essayer une quatrième fois puis j'envoie cette lettre. J'essaierai de ne pas vous en vouloir si vous me raccrochez au nez. Mais je tiens à dire - à cause du croc en jambes inéluctable qui changera cet appel tendre en discussion âpre - que je vous appelle uniquement pour vous demander, avec toute ma tendresse, de bien vouloir venir déjeuner près de moi.
Si ça devient autre chose c'est la fatalité qui joue. Ce n'est pas moi qui suis hostile. A."