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Antoine de SAINT-EXUPERY
Sur son immobilisme forcée au Canada, avril-mai 1942
Estimation :
10 000 € - 15 000 €
Vendu:
11 476 €

DĂ©tails du lot

Sur son immobilisme forcée au Canada, avril-mai 1942

3 ff. in-4, papier pelure blanc, au filigrane "Onion Skin. Made in U.S.A.". S.d. (Montréal, avril-mail 1942). Intitulé "Action Chapedelaine". Belle écriture très lisible.
Ce document éclaire un épisode difficile et mystérieux de la vie de Saint-Exupéry. Il vit à New York depuis fin 1940 quand, suite aux demandes, pressantes et réitérées, de son éditeur Canadien, Bernard Valiquette, il accepte de d'aller donner quelques conférences à Montréal à l'occasion de la sortie de Pilote de guerre et relater son expérience de la guerre. Il part le 28 avril 1942 pour Montréal, avec l'idée en revenir deux jours plus tard. Selon Saint-Exupéry, son départ est décidé de façon précipitée, mais ses éditeurs américains, et son agent littéraire ont reçu des assurances formelles, du Département d'État de Washington et de la légation du Canada aux États-Unis, que tout était absolument en règle. Les autorités canadiennes découvrent que le visa de l'écrivain n'est pas en règle : il ne peut rentrer aux Etats-Unis ! On l'informe que la régularisation de sa situation pourrait prendre six mois. Dans un premier temps, Valiquette tente de pouvoir le faire partir : deux semaines durant, Saint-Exupéry se voit comme un "double exilé" en train de faire un cauchemar. "Ce séjour en face du téléphone et le nez contre la frontière est un véritable supplice chinois", écrit-il à Sylvia Hamilton. Sa "rétention" dure finalement deux mois : un séjour dont la longueur le désespère, d'autant qu'il est alité à cause d'une cholécystite. Surtout, il se persuade qu'il a été abusé par un "complot gaulliste" : il pense que les partisans de De Gaulle à Washington ont trouvé ce moyen pour lui nuire, salir sa réputation tout en l'empêchant de rentrer aux Etats-Unis. Sa prévention contre le Général, qu'il voyait comme un dictateur, ses refus de se rallier à la France libre, et sa (fausse) nomination au Conseil national créé par le gouvernement de Vichy avaient pu lui faire des ennemis chez les gaullistes.
A-t-il vraiment été victime d'une cabale ? On ne sait, mais en tous cas cet épisode l'atteint profondément : il écrit des lettres pleines de reproches et de désespoir, à ses éditeurs américains, se persuade qu'il n'a pas quitté les Etats-Unis avec légèreté. Le présent manuscrit est à replacer dans ce contexte auto-justificatif. Le texte, intitulé "Action Chapedelaine", se présente comme une requête devant une autorité administrative, dans laquelle Saint-Exupéry détaille pourquoi il n'a pas rempli les formalités de visa pour sortir des Etats-Unis. Pour le convaincre à se rendre à Montréal, un certain Monsieur de Chapedelaine, "s'affublant frauduleusement" d'un lien avec les autorités, lui avait fait croire à un accord entre le Canada et les Etats-Unis :
"Je ne voulais pas venir au Canada. Monsieur de Chapedelaine a exercé sur moi, au bénéfice de M. Valiquette [son éditeur canadien], un chantage moral en faisant valoir :
a) que 1500 auditeurs m'attendaient le soir et que je ne pouvais pas me dérober sans motif grave ;
b) que le motif n'existait pas, la légation du Canada ayant obtenu du State Department, en faisant valoir l'urgence et les intérêts en jeu, une rentrée acquise immédiate aux Etats-Unis (sous réserve de la simple formalité de signatures à Montréal)
M. de C[hapedelaine] se prononçant au nom de la légation du Canada engageait cette légation, qui, à son tour, engageait l'Etat Canadien. Or il n'est pas dans la coutume d'exiger d'un ambassadeur qu'il confirme par écrit ses garanties verbales. Des voyages d'exception, hors visa, ayant lieu tous les jours, traités à l'amiable entre gouvernements, le mien pouvait faire partie de cette catégorie. Je n'avais - par courtoisie élémentaire - qu'à m'incliner.
Or M. de Chapedelaine :
a) s'affublait frauduleusement - au cours d'une action strictement privée - d'une apparence officielle. Croyant traiter avec la légation du Canada, je ne traitais, en fait, qu'avec un aimable particulier.
b) Garantissait frauduleusement (sans quoi je ne serais jamais parti) que mon retour, d'une part était acquis, que d'autre part il serait immédiat.
Loin de prévoir en effet un voyage spécial, traité de gré à gré entre gouvernements, Monsieur de Chapedelaine prévoyait dès avant mon départ, comme en témoigne le type de formules à remplir qu'il m'expédiait à Montréal, que je solliciterais, une fois rendu à Montréal, un visa de retour pour les Etats Unis. Ce processus administratif normal impliquant que ma sortie serait enregistrée impliquait du même coup que mon visa de présence aux Etats-Unis, eussé-je été mille fois plus en règle, était annulé et que, en conséquence je me trouvais administrativement dans les mêmes conditions que celles où je me serais trouvé si j'avais, pour la première fois, sollicité un visa d'entrée.
Le délai d'obtention d'un tel visa étant normalement de six mois rien n'autorisait M. de Chapedelaine à garantir qu'il serait réduit à quarante huit heures - cette obtention étant soumise à l'agrément de cinq commissions et à l'accord de dix huit personnages, rien n'autorisait M. de Chapedelaine à garantir que ces signatures étaient acquises.
Or il est bien évident que je ne serais jamais parti, à une époque où les passions faussent les jugements, si j'avais pensé me soumettre à de tels aléas. […]".

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