Commentaire :
D'origine flamande, Pietro de Lignis s'installe à Rome vers 1599, où il est mentionné sur les registres de l'Académie Saint-Luc en 1607(1). Le rythme fluide de ses compositions et la facture lisse de son coup de pinceau s'apparentent aux créations du Cavalier d'Arpin, ses figures étant encore plus élégantes. Ses tableaux rassemblent des foules de personnages avec une ligne d'horizon placée très haut. Son origine nordique se reconnait dans l'amour des beaux costumes bigarrés, ici ornés de pierreries, la description précise des brocards ou des orfèvreries. Autre trait caractéristique du peintre, l'ouverture vers un arrière-plan bleuté aux feuillages vert acide, ici à gauche, qui le rapproche des paysagistes nordiques installés à Rome comme Paul Bril ou Adam Elsheimer.
Parmi ses rares œuvres signées connues aujourd'hui, dans lesquelles il italianise ou latinise son nom, nous retenons la magnifique 'Adoration des Mages' en hauteur de 1616 (cuivre, 70 x 54 cm, Madrid, musée du Prado, fig. 1), le 'Martyre de sainte Catherine d'Alexandrie' (Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle) et une 'Adoration des Bergers' (collection particulière).
Ce n'est pas un hasard si, parmi ce petit nombre de tableaux de sa main qui nous sont parvenus, plusieurs d'entre eux représentent ce même sujet de l'Epiphanie(2). Pietro de Lignis semble avoir satisfait une clientèle d'amateurs et de collectionneurs qui demandait ce type d'œuvres raffinées et virtuoses. Le sujet de l'Adoration des Mages s'y prête particulièrement bien, avec son cortège coloré et exotique. Nous proposons aussi de rapprocher notre œuvre d'un petit groupe d'autres souvent attribuées à Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d'Arpin (1568-1640), mais qui lui sont refusées par Erwarth Röttgen dans sa monographie qui les rend à un "pittore anonimmo … la matiera pittorica fa pensare ad un fiammingo" (3). 'L'Adoration des Mages' conservée au Dayton Art Institute (inv. 1956.21 ; panneau, 43,80 x 36,20 cm, fig. 2) et la 'Sainte Famille', petit cuivre à la Pinacothèque de l'Accademia dei Concordi de Rovigo (31 x 23,50 cm) semblent de la même main que le nôtre. Les enfants bouclés et les visages de Marie sont presque identiques.
Stylistiquement, notre peinture relève de la transition entre le dernier maniérisme et le classicisme clair, donc à l'opposé du courant caravagesque de ce début du XVIIe siècle. On retrouve la même fantaisie, ce faste des habits scintillants, ou ces mêmes petits pages portant un béret à plume dans les 'Adorations' de Georges Lallemant (Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage et Lille, Palais des Beaux-Arts), de Claude Vignon, mais aussi de Frans Francken II.
1. Pour une mise au point récente sur cet artiste, voir J.-C. Boyer, cat. exp. 'Les Passions de l'âme, peintures des XVIIe et XVIIIe siècles de la collection Changeux,' Meaux, musée Bossuet, Toulouse, musée des Augustins, Caen, musée des Beaux-Arts, 2006, p.54-55.
2. Par exemple, Londres, Christie's, 8 décembre 2006, n°217.
3. 'Il Cavalier Giuseppe Cesari D'Arpino', Rome, 2002, p. 538 (il propose comme hypothèse, sans certitude, de l'identifier à Floris van Dyck).