Philippe DRUILLET
Né en 1944
YRAGAËL
Acrylique sur toile. Signé et daté « 93 » en bas à droite. Exposition galerie Loft en 1992. Une des pièces historiques emblématique de cet artiste.
257 x 160 cm.
Philippe Druillet tel qu’en lui-même : nihiliste élégant et gothique, jetant sa vie sur la toile pour construire sa cathédrale, faite de blessures secrètes, de solitude et de transgression. Dripping sans concession, espace de couleurs infernales, enivré par les hallucinations des Haschichins. Une mystique et une énergie qui donnent sa cohérence à l’ensemble, une violence chromatique en perpétuelle effervescence, des formes qui s’entrechoquent, balayent les contours et déconstruisent les valeurs afin de permettre à l’artiste d’imposer les siennes.
Tout commence par le sceptre. Primitif et brutal, sauvage et mimétique, conquérant comme la figure de proue d’un drakkar. Une tête de mort à dents de sabre, implacable chimère capable de pétrifier les mortels. Éclipses de Lune dans le ciel, noir comme les rêves, noir comme le destin et le regard. Les vagues hurlent et se déchaînent, partent à l’assaut d’un trône lourdement sculpté, attirées par les reflets bleutés et métalliques de l’épée, tandis qu’à l’opposé les rayons multicolores griffent la toile, courbes contre droites, Caliban contre Ariel, affrontement ultime entre la Terre et le Ciel sur les décombres de l’ordre ancien.
Yragaël domine la tempête et son royaume tragique. Enveloppé de rouge, d’orgueil et de fureur, le feu et le sang, entre le monde des vivants et celui des morts. Chevelure incendiaire et visage taillé dans un bloc de marbre bleu turquin, figé à la manière du masque mortuaire d’un pharaon. Une créature fantastique à ses pieds, décorée aux couleurs des dieux, Léviathan harnaché d’or.
L’art de Philippe Druillet est une expérience sensorielle, ses images nocturnes et ses états d’âme viennent se concrétiser avec une grande sincérité. Dessin et peinture sont pour lui des conjurations magiques : il désoriente le spectateur grâce à des figures sombres et fantastiques, à la démesure des formes qui brisent toutes les limites, à un univers rageur et exalté d’une grande puissance suggestive.
Son approche graphique et picturale est un système nerveux qui fait converger des sentiments complexes, comme lorsqu’on regarde les visages poignants d’une Crucifixion d’un primitif italien. C’est un révolutionnaire, à la manière des peintres du Quattrocento : il exhorte au vertige, provoque le doute, ouvre des perspectives en recomposant la dominance de l’oeuvre et en entraînant le lecteur dans des profondeurs inattendues.
Il aime à s’imprégner du travail d’artistes comme Gustave Doré ou Francis Bacon, avec lesquels il partage un instinct formel, une liberté complète et une capacité médiumnique propre à donner aux images une grande force dramatique. Porté par le cinéma expressionniste allemand des années 20 et 30, il ne cache pas non plus son admiration pour l’œuvre d’Hergé et celle d’Edgar P. Jacobs, alter ego de la ligne claire, auteurs les plus importants et les plus influents de la bande dessinée du XXe siècle.
Artiste protéiforme, amoureux de la peinture et de la littérature, de Francisco Goya et de Gustave Flaubert, tourné vers la musique, l’opéra et évidemment le cinéma, domaine où il a réalisé de nombreux projets, concepteur de meubles et d’objets d’art, Philippe Druillet est un homme d’action, explorateur de la matière et du support pris dans un maelström permanent, sans lequel il ne pourrait ni créer, ni vivre.
Et in Arcadia ego.