Commentaire :
La composition de notre impressionnant tableau connut un tel succès du vivant de son auteur que Pieter Brueghel II en réalisa près de trente versions autographes (1). Datée de 1615, la plus ancienne d'entre elles réalisa dans nos salles le record du monde pour une version du 'Paiement de la dîme' vendu aux enchères.
La version que nous présentons aujourd'hui est inédite et se présente dans un très bel état de conservation, elle est caractéristique du travail de l'artiste après 1620.
En effet, vers 1620, un double changement intervient dans la composition : la chemise du personnage à l'extrême gauche devient rouge et le mur, jusqu'ici entièrement recouvert de cordes sous la fenêtre, s'orne d'un rideau de couleur sombre. Nous retrouvons ces compositions sous deux formats : le plus grand d'environ 75 x 120 cm (c'est le cas de notre panneau) et le plus petit d'environ 55 x 90 cm.
En 1993, à l'occasion d'une exposition monographique au musée Bonnefanten de Maastricht, Jacqueline Folie émit pour la première fois l'idée selon laquelle Brueghel se serait inspiré d'un prototype français pour imaginer cette œuvre. Klaus Ertz a plus précisément proposé le nom du parisien Nicolas Baullery comme inventeur présumé de cette composition, comparant les vêtements de nos personnages à ceux d'une rustique 'Procession de mariage' de Baullery (vente anonyme ; Londres, Christie's, 7 juillet 2000, lot 152). Un almanach accroché sur le mur de droite porte en outre une inscription française, mais il s'agissait de la langue usuellement employée dans les professions juridiques et administratives des Flandres lorsque Brueghel y peignait. Il convient donc de nuancer cette hypothèse d'une influence française sur le peintre.
Nous connaissons Pieter II Brueghel comme un continuateur de l'œuvre de son père Pieter I dont il reprit de nombreuses fois les compositions telles 'L'Adoration des mages dans la neige', 'Le dénombrement de Bethléem' ou encore 'La trappe à oiseaux'. Le paiement de la dîme présente cette particularité d'être une composition parfaitement originale du fils et à ce titre une œuvre particulièrement importante dans le corpus de Pieter II Brueghel.
Sujet satirique, 'Le paiement de la dîme' - également appelé 'L'avocat des paysans', 'Le percepteur d'impôts', ou 'L'étude de notaire' - est un thème de prédilection au XVIIe siècle et connaît un véritable engouement. Dans une salle en désordre, liasses de papiers et sacs de poste jonchent le sol. On distingue trois groupes de personnages. A l'entrée de la pièce, un homme passe avec hésitation la porte, tandis qu'un autre, un peu penaud, attend son tour, chapeau et documents à la main. Non loin d'eux un jeune clerc s'active à prendre des notes. Au centre se trouve un deuxième groupe de personnages formé par quatre hommes barbus et une femme fouillant dans son panier. Les hommes manifestement hésitants et anxieux regardent en direction du personnage le plus important de la composition. Ce dernier, assis derrière un bureau recouvert de papiers, porte un bonnet de docteur et une petite barbe pointue cachant un menton proéminent, clin d'œil au faciès des Habsbourg. Il est entouré de deux autres hommes qui constituent avec lui le troisième groupe : un clerc qui, à gauche, semble surveiller la salle du regard et de l'autre côté un paysan qui observe l'almanach.
Comme l'indique son titre traditionnel, le thème de cette œuvre a longtemps été rapproché du paiement des impôts. Mais en étudiant mieux les visages caricaturaux ainsi que le personnage principal, il apparaît que le véritable sujet du tableau est une vision satyrique du métier d'avocat. Les inventaires anversois du XVIIe siècle de plusieurs collections de tableaux nous aident à comprendre ce sujet : notre composition y est décrite sous le titre de " procureur ". D'autre part certaines gravures du XVIIe siècle reprennent le tableau de Pieter II Brueghel afin de diffuser des pamphlets sur les avocats. Citons notamment un tract de Paulus Fürst qui légende ainsi la scène : " Le beau-parleur prend l'argent, le beurre, les poulets et les canards et laisse souvent le paysan avec son chapeau vide dans les mains. Qui préfère cependant la justice à la soupe grasse, donne ce qu'il doit aux nécessités de la loi " (fig.1).
Sa diffusion par la gravure renforça encore la postérité de cette composition. On la retrouve par exemple quelques décennies plus tard sous le pinceau de Jan van Kessel l'Ancien, qui en a augmenté la portée satyrique en remplaçant les personnages par des singes (vente anonyme ; New York, Sotheby's, 1996).
1. Klaus Ertz, Pieter Brueghel der Jüngere (1564-1637/38). Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, Lingen, 1988/2000, t. I, p. 487
2. Vente anonyme ; Paris, Artcurial, 13 novembre 2013, n° 40, vendu 1,6 M€.
L'authenticité de ce tableau a été reconnue par le Dr. Klaus Ertz. Un certificat en date du 29 septembre 2014 sera remis à l'acquéreur.