3 lettres autographes signées, toutes ayant leurs enveloppes, datées de 1956 et adressées à Évelyne Sintès. Chacune sur papier à en tête NRF
- 2 p. in-12 à en-tête de la nrf. Datée 27 février 1956. Signée Albert Camus. A Evelyne [Sintès] à Alger. Enveloppe conservée.
"Nous marchons vers la guerre totale et tout le monde en est responsable"
Une des plus belles lettres de Camus sur son amour pour l'Algérie.
De retour en France, Albert Camus a loué une maison dans le Vaucluse, il se sent très seul et accablé par l'actualité algérienne. Il se met entièrement dans l'écriture :
"L'accablement et la solitude, où je suis devant l'Algérie m'enlèvent le loisir du cœur. Je me suis jeté dans mon travail personnel pour la première fois comme dans un refuge." Il n'a pas oublié la "gentillesse et la chaleureuse présence" d'Evelyne et de René Sintès pendant son séjour Algérien lors de l'essai de mobilisation pour la Trêve Civile. Il est très inquiet pour ceux de ses amis qui sont en Algérie, il revendique son amour de l'Algérie et ne peut qu'assister avec tristesse aux réalisations funestes qu'il avait prévues: "?Il faut laisser de côté ce que vous appelez ma gloire, et qui vaut exactement ce que valent aujourd'hui ceux qui la distribuent. Ce que j'ai fait de bon dans ma vie, c'est d'avoir parlé avec amour de ce que j'aimais. Je le sais quand je lis dans votre lettre que je vous ai donné l'Algérie. Oui, c'est vrai j'ai pu en être capable, parce que j'avais et j'ai toujours la passion qui m'en donnait le droit et la force." Camus se trouve isolé, comme absent de Paris, plus prés de ses amis algériens. "Je vous ai donné l'Algérie elle m'est aujourd'hui reprise, et d'une manière qui me désespère réellement. Ce que j'ai annoncé dans ma conférence sur l'évolution de l'opinion française, et qui a dû déplaire à nos amis arabes, est en train de se réaliser. Nous marchons vers la guerre totale et tout le monde en est responsable." Il ne veut pas qu'elle [Evelyne] retienne de cette lettre une vision pessimiste : "Retenez en seulement l'amitié de cœur que j'ai ressentie pour vous et votre mari. Les individus aujourd'hui, face aux sociétés décidément ignobles, sont d'une qualité qui aide à vivre et à lutter. Il faut vivre pour eux, en attendant, et ne pas perdre cette espérance qui survie à tout espoir et que j'appelle en réalité la force, obstinée de vivre et de créer. Merci à vous, à vous deux […]"
À la lecture de cette lettre, capitale pour sa vision de l'Algérie et du monde actuel [de l'époque] c'est que toujours et contre tout Camus fonde sa force sur l'espoir, sur l'avenir, cette vision humaniste qu'il voit si bien représentée par ses amis d'Algérie, Evelyne et René Sintès.
- 2 p. in-12 à en-tête de la nrf. Datée 6 juin 1956. Signée A.C. A Evelyne [Sintès] à Alger. Enveloppe conservée.
Importante lettre sur l'emprisonnement de Jean de Maisonseul le 26 mai à la prison Barberousse sur ordre du pouvoir. Camus fera tout ce qu'il peut pour le faire libérer. C'est toute cette force qu'il va mettre en place qui est visible dans cette lettre, à mots couverts, mais tellement signifiant.
"Depuis une semaine, je ne m'occupe plus que de ça et je crois que j'aboutirai. [Maisonseul sera effectivement libéré le 12 juin, après un article virulent de Camus dans le Monde] Ne cédez pas au désespoir, il faut lutter. L'histoire d'aujourd'hui, […] s'appelle solitude. Mais l'acceptation, et le dépassement, de cette solitude, la fidélité, l'honneur en fin, sont nos aides et un intercesseur. Il y a une communauté de solitaires qui doit persévérer et vaincre finalement. Nous ne perdrons pas l'Algérie ni d'une façon ni de l'autre si nous maintenons, d'une façon et de l'autre, ce qui est vrai.[…] Faites savoir à Jean, que je suis littéralement, avec lui, que je suis ulcéré profondément de tout cela, mais que je suis résolu à persévérer."
Magnifique lettre sur l'engagement de Camus pour la libération de Jean de Maisonseul, mais il faut voir plus loin dans ce geste personnel, un engagement volontaire qui prend une dimension universelle, digne du Siècle des Lumières. C'est à cette lueur que l'on distingue les grands hommes.
- 1 p. in-12 à en-tête de la nrf. Datée 27 juillet 1956. Signée Albert Camus A Evelyne [Sintès] à Cagnes sur Mer, France. Enveloppe conservée.
Albert Camus est soulagé de savoir ses amis en France. Il lui annonce qu'il travaille sur l'adaptation qu'il a faite de Requiem pour une Nonne de Faulkner :
" Je suis heureux de vous revoir à Paris, bien que je sache, par expérience que je ne peux voir personne à courir dans cette ville diabolique. En septembre je serai en pleine répétition d'une pièce de Faulkner que j'ai adaptée. Ensuite ce sera plus humain. De toute manière nous trouverons le temps de nous voir."