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Albert CAMUS
POUR UNE TREVE CIVILE EN ALGERIE. APPEL D'ALBERT CAMUS
Estimation :
70 000 € - 80 000 €
Vendu:
94 800 €

Détails du lot

POUR UNE TREVE CIVILE EN ALGERIE. APPEL D'ALBERT CAMUS

Manuscrit de 10 pages à en tête de la N.r.f. Écriture dense et serrée.
Dédicacé à René Sintès et sa femme Evelyne, le 21 janvier 1956.
La première page porte la dédicace " À Evelyne et René Sintès / leur frère en Algérie / Sintès-Camus "

Signature d'une insigne rareté, ce doit être certainement l'unique fois que l'écrivain accole le nom de jeune fille de sa mère Catherine Sintès [devenue Camus], au sien. Il faut voir ici une ellipse intellectuelle, René Sintès devenant le frère de combat et leur homonymie les liant plus encore.
René Sintès est bien plus jeune que Camus, il est né à Alger en 1933, peintre actif dès les années 1950, il va devenir l'un des peintres non-figuratifs algérois les plus remarqués avec Maisonseul et Durand. Edmond Charlot, l'éditeur, fut le grand catalyseur de la vie intellectuelle et artistique de ces années troubles à Alger. C'est lui qui organisa le prix Comte-Tinchant qui fut attribué à René Sintès en 1957. C'est sans doute aussi chez Charlot qu'Evelyne et René Sintès firent la connaissance d'Albert Camus. Lorsque Camus parlait d'eux, il disait : " […] des hommes exprimant une certaine terre, une certaine manière d'aborder les hommes ".
La préparation à la conférence lors de laquelle Albert Camus lancera son appel, réunit autour de lui artistes et intellectuels. On y retrouve notamment Jean de Maisonseul, Emmanuel Roblès, René Sintès, Amar Ouzegane, Boualem Moussaoui. Ces réunions préparatoires ont lieu rue du Lézard, dans la salle de répétition du théâtre Mahieddine. Dès le début de l'automne 1955 Charles Poncet, Louis Miquel, Roland Simounet et l'abbé Tissot s'y retrouvent ; ce sont les représentants uniques à cette époque d'une passerelle de dialogue entre européens et musulmans.
Les réunions s'intensifient et aboutissent le 16 janvier 1956 à la mise en place d'un " Comité pour une trêve civile " appelé d'abord " Comité pour la Paix ", et destiné à soutenir l'initiative d'Albert Camus. La veille de son départ pour Alger, Camus écrit dans L'Express du 17 janvier 1956 : " Les Français qui, en Algérie, pensent qu'on peut faire coexister la présence française et la présence arabe dans un régime de libre association, qui croient que cette coexistence rendra justice à toutes les communautés algériennes, sans exception, et qui sont sûrs en tous cas qu'elle seule peut sauver, aujourd'hui de la mort et demain de la misère le peuple de l'Algérie, ces Français-là doivent prendre leurs responsabilités et prêcher l'apaisement pour rendre le dialogue à nouveau possible. Leur premier devoir est de demander de toutes leurs forces qu'une trêve soit instaurée en ce qui concerne les civils."
Le 18 janvier 1956 Camus se rend à Alger. Il y retrouve ses amis Maisonseul, Poncet, Miquel, Roblès qui appartiennent au groupe des " libéraux ". Ceux-ci demandent l'abrogation du statut colonial, l'élimination des gros colons, une table ronde des divers courants algériens.
Des comités se forment, comprenant européens et musulmans. Après plusieurs rencontres et malgré de nombreuses difficultés et des menaces de mort, la date de la conférence est fixée au 22 janvier 1956, au Cercle du Progrès, place du Gouvernement. C'est là que Camus lance son appel pour une Trêve Civile. Le vœu de Camus est de créer le dialogue afin de " faire taire les fureurs et de rassembler la plupart des Algériens, Français ou Arabes sans qu'ils aient à rien abandonner de leurs convictions. […] Cet appel, […] s'adresse aux deux camps pour leur demander d'accepter une trêve qui concernerait uniquement les civils innocents ". En sauvant ces vies, Camus augurait un espoir de compréhension future.
" La causerie suivie de débat, d'Albert Camus " doit avoir lieu à seize heures au Cercle du Progrès, située en bas de la Casbah. Son appel à lieu devant une salle comble, le bâtiment entier reçoit le public très nombreux venu l'écouter.
Cependant, au dehors, les ultras de l'Algérie française, retenus par des policiers, redoublent de menaces, lancent des pierres contre les fenêtres, ainsi que des insultes. Les cris, les insultes, les jets de pierres le rendent très nerveux durant son discours. Pour se protéger, on a dû fermer les volets. Camus est menacé de mort, il devra être protégé dans ses déplacements pendant son séjour qui durera jusqu'au 25 janvier.
Bien qu'il soit resté en contact depuis Paris avec ses amis en Algérie, et qu'il soit au courant de la montée de la violence, il n'a pas pleinement conscience jusqu'alors de la haine qui embrase l'Algérie. Il sait que ces hommes dehors ne lui passeront rien et qu'ils lui en veulent jusqu'à la mort. Dans la salle a été distribuée la plaquette reprenant l'Appel de Camus. Peu de personnes pourront finalement la remporter avec soi tant la tension est vive dans l'auditoire et parce qu'elle est synonyme de danger.
" Aucune cause ne justifie la mort de l'innocent ". Et pour cela, il s'agit selon lui " d'obtenir que le mouvement arabe et les autorités françaises, sans avoir à entrer en contact, ni à s'engager à rien d'autre, déclarent simultanément que pendant toute la durée des troubles, la population civile sera, en toute occasion, respectée et protégée. "
Mais à cette date, la situation en Algérie s'est déjà dégradée, les positions des différents camps affermis, les haines et les incompréhensions se sont durcies, intensifiées et une Trêve Civile relève désormais de l'utopie.
En 1990, Charles Poncet écrira dans le Magazine Littéraire du mois d'avril : " Mais devant une histoire qui s'emballe, les meilleures intentions se diluent. Nous n'avons rien à regretter. Dans cette guerre qui allait prendre un caractère inexpiable, jamais notre protocole n'aurait pu être appliqué sur le terrain. "

Le manuscrit que nous proposons est unique, il est raturé et présente de nombreuses corrections et modifications par rapport au texte définitif qui sera repris dans la plaquette " Appel d'Albert Camus "puis dans Actuelles III, Gallimard, en 1958.
Nous avons essayé de faire ressortir certains passages qui diffèrent ou bien de montrer comment Camus organisait et construisait son texte. Mais nous ne pouvons donner ici la transcription intégrale.
" […] ma seule qualification, je voudrais le dire le plus simplement possible, est d'avoir vécu le malheur algérien comme une tragédie personnelle et de ne pas pouvoir en particulier me réjouir d'aucune mort, quelle qu'elle soit, et aussi d'avoir passé pendant 20 ans j'ai fait avec de faibles moyens ce qu'il était possible de faire mon possible pour aider à la réconciliation concorde de nos deux peuples. Lui en tous cas, n'est pas porté à en rire, C'est là tout ce que la décence m'autorise à dire sur ce point. C'est là tout ce qu'on peut dire décemment sur ce point et mon seul souci et ne peut plus avoir d'autre souci que d'épargner à son pays un excès de souffrance. "

" Il faut dire encore enfin que nous nous adressons à qui que nous ne voulons pas nous adresser à des hommes politiques. Leur métier n'est pas le notre. Il leur revient de préparer et de faire entrer dans la réalité des solutions politiques réformes de structure dont a besoin notre pays. "

" […] plusieurs communautés religieuses fortes et vivantes enfin, et ces hommes doivent vivre ensemble. On a pu rêver, on peut rêver encore. Ils le peuvent, à la seule condition de faire quelques pas les uns au devant des autres, dans une discuss confrontation libre. /Nos différences devraient alors nous aider au lieu de nous dresser les uns contre les autres. Pour ma part, là comme partout, je ne crois qu'aux différences, non à l'uniformité. Et d'abord parce que les premières sont les racines sans lesquelles l'arbre de liberté, la sève de la création et de la civilisation, se dessèchent./ Pourtant, ils restent nous restons figés les uns devant les autres, comme frappés d'une paralysie qui ne se délivre que dans les crises brutales des massacres et brèves de la guerre de la violence. C'est que la guerre lutte a pris un caractère inexpiable, qui soulève de chaque côté des indignations irrépressibles, et des passions qui ne laissent place qu'aux surenchères. "

Joint :
Albert CAMUS, Pour une Trêve Civile en Algérie, Appel d'Albert Camus, Alger 1956. Plaquette in-8, agrafée. Très rare.


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