Commentaire :
Après un séjour à Rome où il travaille avec l'architecte Vignole et Taddeo Zuccaro, Bartolomeo Passerotti revient s'installer définitivement à Bologne en 1560. Son activité documentée ne couvre qu'une vingtaine d'années, entre 1564-65, date de la Vierge en gloire avec des saints pour l'église de San Giacomo Maggiore à Bologne, et 1583, année de La Présentation de la Vierge au Temple (Pinacothèque de Bologne). D'abord empreint de maniérisme romain, son style s'infléchit vers la tradition émilienne du Corrège et du Parmesan tout en développant des formules originales parfois volontiers archaïsantes dans ses portraits. A Bologne, Passerotti s'attacha à portraiturer les personnalités de la ville ou celles de passage et s'intéressa aux caractères humains. Ses portraits caustiques ou grimaçants et ses scènes de genres quotidiennes nous interpellent par leur originalité.
Bologne, ville papale depuis le siège victorieux de Jules II, est un bastion avancé de l'Eglise vers le Nord et aussi un carrefour de multiples influences venues de l'Europe entière. Des artistes nordiques, comme Denys Calvaert, s'y installent. Son université rayonne dans le monde occidental et la ville compte nombre de savants et d'intellectuels. Tel est le cas du grand naturaliste Ulisse Aldrovandi, ami proche de Passerotti qui ne dut pas être insensible au soin accordé à la délicate représentation des fleurs dans le vase situé à gauche de notre composition : des narcisses, bien sûr symbole de mort mais aussi - selon Angela Ghirardi - des gentianes bleues . Cette dernière fleur qui pousse dans des conditions extrêmes dans la roche à haute altitude symbolise la détermination, en l'espèce celle de Judith.
Anticipant le caravagisme tant par le choix du sujet, le traitement de la lumière et la coupe de trois-quarts des figures, notre impressionnante et déterminée Judith nous prend à témoin et nous regarde comme elle regardera les Assyriens du haut des murailles de Béthulie le lendemain de l'assassinat du général Holopherne. L'attitude guerrière de l'héroïne juive dénote avec la splendeur de ses riches vêtements qui lui permirent de séduire le chef ennemi. Cette même tête, mais encore plus richement parée, se retrouve dans une feuille de l'artiste conservée à Modène1. La position le bras tendu pour mettre la tête dans le sac que lui tend la servante n'est pas sans rappeler le célèbre Persée réalisé par Benvenuto Cellini quelques années avant (fig. 1). Cette dernière sculpture, prodige de bronze monumental fondu en une seule fusion, a suscité tant d'admiration qu'il est compréhensible que notre peintre ait lui aussi été marqué par le déhanché du Persée, la force de son bras tendu, l'élégance du bras droit tenant un cimeterre : autant de formules que nous retrouvons dans notre Judith.
Une étude peinte pour la tête de la servante (fig.2) fut présentée en vente en 19982. Elle témoigne du soin accordé par l'artiste à l'élaboration de notre puissant tableau.
1. Dessin à la plume et encre brune, Modène, Galleria Estense, inv. 945, repr. in Angela Ghirardi, opus cit.
2. Vente anonyme ; New York, Christie's, 29 juin 1998, n° 212, vendu $ 36.800.
Nous remercions le Professeur Angela Ghirardi de nous avoir aimablement confirmé l'authenticité de ce tableau d'après photographie.