[Eatons Neck (Northport, NY),
été-automne 1942].
Encre brune et aquarelle ocre, brune et rouge, avec quelques traits de crayon noir, sur une feuille de papier pelure (27,8 x 21,4 cm) montée sur carton.
Exceptionnelle aquarelle originale d'Antoine de Saint-Exupéry utilisée pour l'illustration du Petit Prince.
La genèse de cette œuvre universelle est bien connue même si les spécialistes hésitent encore sur quelques détails. Installé depuis peu à Eatons Neck, près de Northport (NY), en compagnie de Consuleo, Antoine de Saint-Exupéry écrit un conte pour enfants durant l'été et l'automne 1942, sur les conseils de l'un de ses éditeurs new-yorkais, Eugene Reynal ou Curtice Hitchcock. Or, non seulement il écrit les aventures de ce " petit bonhomme [qu'il] porte dans le cœur ", mais il les illustre tant est forte pour lui la complémentarité - la " symbiose " pour reprendre le juste mot employé par Michel Autrand - entre l'écriture et le dessin. Si bien qu'une aquarelle telle que la nôtre n'est pas un simple complément du texte mais est inhérente à celui-ci et doit être regardée comme telle, à l'égal d'un fragment du manuscrit original…
Prévue pour les fêtes de Noël 1942, la parution du Petit Prince n'eut lieu que le 6 avril de l'année suivante. L'édition originale fut imprimée en langue anglaise et en langue française, respectivement à 525 et 260 exemplaires, qu'Antoine de Saint-Exupéry eut tout juste le temps de signer ou de dédicacer puisqu'il prit la mer quelques jours plus tard dans un convoi américain pour rejoindre l'Afrique du nord et ne revint jamais aux États-Unis.
La Morgan Library conserve aujourd'hui le manuscrit original du Petit Prince et un ensemble de dessins préparatoires en majorité aquarellés. Elle eut l'occasion de les acquérir en 1968 auprès de Silvia Hamilton-Reinhardt à laquelle l'écrivain les avait donnés avant son départ d'Amérique. Les aquarelles définitives, quant à elles, revinrent à Eatons Neck après leur passage chez les éditeurs Reynal et Hitchcock, et furent vraisemblablement montées sous des passe-partout qu'Antoine de Saint-Exupéry signa avant son départ. C'est du moins ainsi que se présentent les très rares aquarelles définitives qui ont circulé ces dernières décennies. Ainsi, lorsque Gaston Gallimard prépara en 1945 la première édition française du Petit Prince, il dut se résoudre à faire copier les illustrations des éditions américaines puisqu'il n'avait pas accès aux originaux restés outre-Atlantique. On sait que lorsque Consuelo rentra
en France, en 1946, elle rapporta
ces précieuses aquarelles parmi tous
les souvenirs qu'elle avait conservés
de son mari.
L'aquarelle que nous présentons, peinte sur une feuille de papier pelure
Esleeck Fidelity Onion Skin, est celle qui a servi à l'illustration de la page 71 de l'édition originale.
Elle y est reproduite dans des couleurs différentes, ce qui laisse à penser que les éditeurs, avec sans doute l'assentiment de l'auteur, modifièrent ici, et certainement à d'autres reprises, les coloris originaux des aquarelles sans toucher au dessin à d'insignifiants détails près.
Elle fut peinte par Antoine de Saint-Exupéry pour illustrer un passage situé plus en amont, au chapitre XX, au moment où le Petit Prince découvre amèrement " un jardin fleuri de roses " semblables à la sienne :
Puis il se dit encore " Je me croyais riche d'une fleur unique, et je ne possède qu'une rose ordinaire. Ça et mes trois volcans qui m'arrivent au genou, et dont l'un, peut-être, est éteint pour toujours, ça ne fait pas de moi un bien grand prince… " Et, couché dans l'herbe, il pleura.
On trouve au bas de la feuille des indications techniques : " - 61/2 - "
et " p 71 ".
Papier légèrement froncé. Traces anciennes de colle dans le quart inférieur de la feuille et dans les marges de droite et supérieure. Petite épidermure touchant une main du Petit Prince et la fleur qui la jouxte. Épidermure dans le coin supérieur droit avec petits trous.
On joint le fragment du passe-partout original portant la signature d'Antoine de Saint-Exupéry.
Provenance :
Succession de Consuelo de Saint-Exupéry
Vente anonyme (Londres, 9-10 décembre 1985, n° 675)
Resté depuis dans la même collection