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Lucien LÉVY-DHURMER (1865-1953)
Le bassin de Saint Marc avec la Salute par temps de brume, Venise
Estimation :
10 000 € - 15 000 €
Vendu:
13 000 €

Détails du lot

Le bassin de Saint Marc avec la Salute par temps de brume, Venise
Pastel


The Bacino di San Marco with the Salute by misty weather, Venice, pastel, by L. Levy-Dhurmer

Commentaire :
Venise

On sait que Lévy-Dhurmer avait visitée Venise vers 1895, mais qu'il y séjourna encore plusieurs fois autour de 1904, 1906, 1910 et dans les années 1920 ; on peut hésiter entre le début des années 1910 et le lendemain de la Première Guerre mondiale pour ces trois œuvres, deux vues de la basilique de la Salute et une petite étude aux couleurs véhémentes. La pratique du paysage s'accompagne en effet chez l'artiste d'une libération chromatique. Plus diffuse et " fondue " dans les années 1890, la couleur éclate avec les pastels postérieurs. La critique le remarqua d'ailleurs : lorsqu'en 1907, Lévy-Dhurmer expose une Venise, incarnée par une femme quelque peu mélancolique, le commentateur de la Revue des Beaux-Arts en remarque la couleur avec une allusion humoristique : " M. Lévy-Dhurmer artiste ondoyant et divers n'en est pas à nous faire la première surprise. Cette année, en Italie, pays de joie, il se montre triste, mais sentimental. La Vénitienne semble chanter La Juive avec quelques variantes. "Je suis Jaune et je tiens à la vie" Musique de Halévy . " Par ce jeu de mot sur une réplique d'un opéra célèbre à l'époque, il souligne la liberté de couleur pratiquée par l'artiste. Dans le pastel de petit format, Lévy-Dhurmer colore en jaune et en orange les voiles des embarcations, leur reflet et la silhouette, également jaune, du campanile de Saint-Georges Majeur ou de la place Saint-Marc, sans qu'il soit possible d'opter définitivement pour l'un ou l'autre de ces monuments. Dans ses vues de Venise, l'artiste est en effet assez peu soucieux de l'exactitude topographique ; quand bien même il a visité les lieux, ou en a pris des croquis (fig. 1) , l'arrangement qu'il choisit répond à une " composition " toute personnelle plus qu'à une exactitude pittoresque. Toutefois, la feuille n° 33 (fig. 2), en particulier, est extrêmement proche de l'un des pastels que nous étudions (silhouette des monuments, forme et dimensions du bateau, point de vue etc.).

Une œuvre non localisée mais dont on possède une photographie ancienne confirme les libertés prises par l'artiste. Lévy-Dhurmer y figure en effet la statue du condottière Colléone, mais il la situe au bord de l'eau dans un contexte urbain bien différent de la physionomie réelle du Campo dei santi Giovanni et Paolo . Cette distance prise par rapport au réel est remarquée dès 1896 par Fernand Weyl et justement à propos de Venise : " Le coin de Venise qui sert de fond à sa Maternité, n'est pas rigoureusement vrai […] il a rapproché une tour pour en accentuer la signification . " On le constate encore dans les deux autres pastels dévolus à Venise que nous étudions : Lévy-Dhurmer y représente Santa Maria della Salute depuis le quai opposé, vue depuis la droite. Si l'on y reconnaît le dôme célèbre, l'artiste occulte le second dôme et fait se détacher en arrière les deux clochers, ainsi plus distincts sur le ciel. Une autre photographie ancienne d'un pastel non localisé représente le même monument sous un angle lui aussi quelque peu libre, depuis la gauche, mais dans une facture très proche des vues révélées aujourd'hui (fig. 3).

Peu soucieux de fidélité absolue à l'architecture, Lévy-Dhurmer privilégie sa vision, avant tout poétique et graphique. Ces deux feuilles remarquables donnent un condensé de la virtuosité et de la diversité chromatique dont fait preuve Lévy-Dhurmer : dans l'une d'elle, il choisit une atmosphère brumeuse, avec une harmonie de bleus, de roses et de jaunes pour les voiles du bateau, peut-être une vision d'aurore ; dans l'autre, moins nébuleuse, mais avec un point de vue quasiment similaire, l'artiste mêle des verts, des jaunes et des violets qui font plus penser à un crépuscule. On retrouve toutefois dans les deux pastels ces filaments blancs, mouvementés, qui unifient la matière graphique par une sorte de trame subtile. Comme certains impressionnistes, l'artiste étudie le même site à différents moments de la journée dans un effet de série, si caractéristique de Claude Monet, mais, contrairement à eux, il mêle à l'observation de cette temporalité l'impact poétique que les changements de lumière et d'atmosphère ont sur sa vision. Camille Mauclair le souligne ainsi : il " va à Venise et il trouve le moyen de magnifier, après Monet et Le Sidaner les aspects les plus simples, le dessous d'un pont nocturne, par une surprenante " mise en page ", une voile safranée aux étranges dessins […] dans une sorte de doux délire rose et or ", description fort proche de l'un des pastels étudiés ici. En 1911, Georges Lecomte vante " les paysages que M. Lévy-Dhurmer fait surgir des brumes… " On connaît d'autres vues de Venise réalisées au pastel, mais aussi à l'huile à différentes époques. Lors de l'exposition Lévy-Dhurmer à Bruxelles en 1927, Ernest de Ganay évoque l'artiste qui "a promené ses curiosités […] dans un Orient de rêve, autant que dans cette Venise que somptueusement habillent les heures et les astres, Matin, Soir, Clair de lune [...] " et Camille Mauclair parle de " luminosité radiante ." Si la facture de ces pastels peut être diverse et évolue au fil du temps, les visions de l'artiste évoquent toutes une image de la ville des doges transcendée à la fois par l'imaginaire et la virtuosité technique.

Jean-David Jumeau-Lafond

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