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Antoine de SAINT-EXUPERY
Escales de Patagonie
Estimation :
50 000 € - 60 000 €
Vendu:
162 531 €

Détails du lot

Escales de Patagonie

Manuscrit autographe, vers 1932, 24 ff. Papier vélin fin. Encre bleue. Très nombreuses ratures, passages supprimés, abondamment corrigés. Deux feuilles froissées, quelques taches.
Manuscrit intégral du texte et très proche de la version publiée en novembre 1932 dans Marianne. Saint-Exupéry collabore aux deux premiers numéros de cette revue fondée par Gaston Gallimard en 1932.
Un des plus beaux brouillons de Saint-Exupéry. Texte complet. La rigueur, le perfectionnisme de l'écrivain sont très visibles dans les ratures, les corrections, les changements d'ordre des paragraphes qu'il impose à sa prose pour aboutir à un texte limpide. L'édition de la Pléiade est basée sur un document dactylographié conservé à la Bibliothèque nationale.

En octobre 1929, Antoine de Saint-Exupéry arrive en Argentine comme pilote de la Compagnie générale Aéropostale, première compagnie aérienne argentine, avec l'objectif de développer des lignes aériennes en Patagonie et le transport postal, activité principale de l'entreprise française. Il se rend en Patagonie et en Terre de Feu pour trouver les meilleurs trajets et les pistes d'atterrissage les plus sûres en vue de l'ouverture de cette nouvelle ligne. Il multiplie alors les exploits : le 20 mars 1930, il couvre les 2400 km qui séparent Buenos Aires de Rio Gallegos en 12 h, ce qui est un record mondial ; le 31 mars, il inaugure la seconde extension de la ligne Comodoro Rivadavia-Rio Gallegos, avec comme escales intermédiaires Puerto Deseado, San Julian et Santa Cruz ; le 16 avril, sont inaugurées des lignes auxiliaires vers Rio de Janeiro, Montevideo, Porto Alegre et Santos. La ville pétrolière de Commodoro Rivadavia était remplie d'une agitation fébrile du fait de l'arrivée de l'Aéropostale. Désormais, elle est reliée à Bahia Blanca par deux courriers chaque semaine. Le 16 novembre 1929, Saint-Exupéry s'y trouve avec Mermoz pour accueillir Luro Cambaceres à son retour du Cap Horn.

Texte de la plus haute importance pour le pilote et l'écrivain. La Patagonie y est décrite comme vierge, nouvelle, sans repères ni références. Le texte se veut aussi ethnographique et par les descriptions de prostituées, de jeunes femmes, de la maîtresse qui danse pudiquement avec son amant… Le territoire est vu comme un Jardin d'Eden, une terre nouvelle, où des couples vont se former, des enfants vont venir au monde ; il insiste même sur le premier mort qu'il faudrait donner à la terre pour que le processus de la vie soit entier. Mais l'ombre menaçante de la civilisation du pétrole plane, terrible, dans ses balbutiements ; on sait malheureusement ce que deviendront ces paysages, ces terres, ces ports et surtout ces habitants.
Notons encore que ces vols au-dessus de la Patagonie ne seront pas étrangers au texte mythique de l'auteur, Le Petit Prince. Les Volcans chers au petit personnage sont ceux que le pilote a pu voir en Patagonie. De fait, sa vision simplifiée du monde et des hommes vient des hauteurs d'où l'auteur a pu voir le monde : vue du ciel, la terre semble être un grand désert, et les volcans des tabourets, comme dans le Petit Prince.

"Après des centaines de kilomètres de lande aride, on survolait vers Commodoro Rivadavia, un sol une terre brûlée comme un très vieux chaudron. Aucun sol ne pourrait donner m'a jamais donné une aussi pénible impression d'usure. Le un vent prodigieux qui quatre jours sur cinq deux jours sur trois pesait le balayait balaye de débris pesait pèse pesant contre lui de toute la force d'un genou. Et si des arbres en eussent pu sortir, ils auraient poussé grandi en rampant contre terre comme les épineux du Sahara désert. Mais la terre emportée par la mer au cours des siècles ne laissait qu'un résidu de gravier sec dur. Les montagnes rongées par l'érosion montraient leur roc. Aucune semence ne trouvait d'asile.
Le pays est triste. Les pylônes de fer des puits de pétrole accentuent cette impression de désastre. On eut dit dirait une forêt après l'incendie. Ou encore quelque immense usine abandonnée car les hommes ne s'y montrent pas. Sous les pylônes inutiles inutilisés depuis le forage d'invisibles conduits recueillent sous terre le sirop noir. Tout se passe en silence. Si le puits est trop vieux, si la fureur des gaz ne suffit plus à le faire dégorger, d'immenses pompes trient le pétrole, commandées par tringles l'y aide, dont des tringles longues parfois d'un kilomètre. Elles poussent à travers les terres, comme des tringles semblables à des tringles d'aiguillages, sur parfois plus d'un kilomètre, poussent commandent à travers les terres le faible va et vient… leur faible va-et-vient. Ainsi ça et là une baraque de bois, commande à elle seule plus de huit puits. Seuls s'animent aux abords de la ville, les quartiers des docks, des distilleries, des docks et des centrales électriques. […] Seule de toutes les villes d'Argentine qui, en moins d'une génération, absorbent le français, l'allemand, l'italien, pour en créer un argentin, Commodoro Rivadavia, n'absorbe pas les hommes. […] A Commodoro Rivadavia, les hommes sont venus s'enrichir. Et la richesse, ils le sentent, est faite pour être emportée. Pour servir dans le paradis qu'ils s'inventent. Buenos Aires ou ce coin d'Italie ou d'Allemagne. Pour y forcer les femmes qui les y ont refusés quand ils étaient pauvres. Pour être emportée dilapidée là où la richesse prend un sens, et procure où elle achète autre chose que de l'acier, du minerai ou des filles. "
Une fille achète des perles avec l'argent gagné, toute sa fortune dans son collier : "- Tu n'as pas un coin quelque part où tu rêves de revenir vivre plus tard un jour ? - Non. Elle avait fui, par dégoût peut-être, son ciel d'origine. Et maintenant là ou ailleurs…
- Bien jolies, tes perles…
Brusquement elle avait rougi. Cette fois-ci elle rougissait par une sorte de fureur. Elle avait rougi, une émotion secrète la brûlait faiblement. lui coloraient les joues
- Mais bon dieu ! Elles sont vraies !... où as-tu trouvé ça ? Alors comme un aveu, timidement :
- Quand j'ai assez d'argent j'en achète une…
Les autres enrichissaient leurs comptes en banque mais elle ne préparait pas l'avenir. Et c'était vrai. Les autres femmes enrichissaient chaque mois leurs comptes en banque, mais elle " la fille aux perles " indifférente à l'avenir ne vivait que pour son bijou. Tous ses gains y passaient.
- Mais tu es imbécile de placer ton argent en perles, quand tu les revendras lorsque tu voudras les revendre…
- Oh non, c'est pour moi. Pourquoi les vendre ? Elle les aimait. Elle roulait doucement dans ses doigts la plus belle. Et involontairement mystérieuse :
- Celle-ci je peux dire que j'ai souffert j'en ai vu pour elle j'en ai vu… Elle rougit encore et se tut. Elle ne devait pas être jolie, jolie son histoire aventure, ni gaie. Cela doit coûter beaucoup de fraîcheur une perle comme celle là doit coûter beaucoup un peu de fraîcheur.
- Bien sûr ? les hommes d'ici ne sont pas tous drôles…
- Oh les hommes d'ici… ils pensent au pétrole. Les hommes d'ici pensent au pétrole. Il y a probablement pire.
Nous regardions mes compagnons et moi ce collier déjà bien assez lourd déjà pour la faire éventrer assassiner avant longtemps au coin d'une de ces rues sombres valoir à la petite porteuse, dans un de ces faubourgs sinistres, un coup de couteau. Elle le recevrait sans doute avant longtemps.
- Tu crois qu'une petite fille qui traîne ça au cou vit très vieille peut vivre vieille ?
Pour la première fois elle nous souriait. Ce sourire longtemps m'a fait rêver réfléchir. Quel étrange mysticisme la grisait de qu'y avait-il de si doux à risquer la vie pour son un trésor collier ? L'étrange amour. Elle lui avait déjà sacrifié sa chair. Plus le métier marquait son visage, creusait ses joues, plus rayonnaient ses perles le bijou l'entretenait. Et n'était-ce pas presque beau d'avoir de charger chaque jour un peu son corps périssable de faible lumière. Ce n'était pas C'était pour elle peut-être aussi racheter son péché que de le faire servir un rayonnement aussi pur. […] Je butais, presque à l'extrémité du continent, dans cette Patagonie, où le sens social est le plus développé du monde, où à mesure que l'on s'enfonce vers le sud, le froid, l'isolement, résume mieux les hommes, je butais sur une petite tour ronde et qui posait, quand on le croyait déjà résolu - quand on avait bien compris que les hommes n'étaient qu'un langage - le plus aigu des problèmes."
BIBLIOGRAPHIE : Œuvres complètes, Pléiade I, p. 310 à 319.

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