Notes manuscrites préparatoires. 10 p. in-16 d'un carnet à spirale, dentelures en haut de page. Écriture dense et rapide à la mine de plomb avec des ratures, noms d'hôtels et d'hôpitaux parisiens, plan de construction des chapitres. Écrit à Epalinges, Vaud, automne 1970. Publié aux Presse de la Cité, 1971.
Simenon a écrit ce roman avec quelques années d'avance et un pressentiment tragique surprenant. Il y raconte l'histoire d'Odile Pointet, une " paumée " de 18 ans. Ne supportant plus sa vie à Lausanne, elle fugue en emportant le revolver de son père et de somnifères, puis elle se cache dans Paris pour se suicider. Comment ne pas voir la fille de Simenon, Marie-Jo, à travers Odile ? Elle est décrite comme quelqu'un qui ne se sent jamais de plain-pied dans la vie. Obsédée par l'autodestruction, hantée par l'idée de s'enfoncer dans la maladie mentale, elle se lance dans une fuite en avant. Après un suicide raté, elle trouve aide et réconfort auprès d'un jeune étudiant en médecine, son voisin de palier dans l'hôtel du quartier latin où elle vit.
La Disparition d'Odile est un effrayant portrait-croisé du père et de la fille. Effrayant, surtout, quand on connaît le contexte qui la inspirée et que l'on décèle l'autocritique sous la fiction. Après la mort de sa fille, Simenon démentira tout rapport entre la réalité et la fiction.
Marie-Jo lui écrira quelques mois après la sortie du livre, avant son départ pour Paris : " Quand tu liras cette lettre, je ne serai plus à la maison, ma chambre sera vide […] Je ne pars pas comme " Odile " pour me suicider. Je pars seulement parce que je me sens intérieurement dans un état de déséquilibre face à la vie qui m'obligerait à rentrer à l'hôpital, et que je ne peux pas le supporter. " La réalité sera plus tragique que celle d'Odile, Marie-Jo se suicidera quelque temps après.
Feuillet 1 : La première phrase est déjà ce que sera l'ouvrage définitif : " Doit être debout à 7 h. du matin ". Le livre commence par "Bob c'était levé à sept heures".
Feuillet 2 : " Elle faillit téléphoner à son frère, sans penser qu'il était 7 heures du matin et qu'il devait être au salon. Elle ne pensait jamais qu'elle dérangeait les gens. Elle trouvait tout naturel qu'il se mette à sa disposition. N'était ce pas à cause de ça qu'elle avait successivement perdu toutes ses amies. […] Si elle n'appelait pas son frère, ce n'était pas par respect de son sommeil, mais parce qu'au dernier moment, elle ne saurait plus quoi lui dire. Tout à l'heure quand elle longeait la Seine, elle était pleine d'idées qu'elle voulait extérioriser. Mais dans sa chambre lugubre elle ne trouvait plus rien à dire.
Mais à Bob. Bob qui était sûrement à Paris et qui était au courant. Entendre sa voix, une voix familière.
Elle prit un comprimé de somnifère. L'habitude." […]
Feuillet 3 : " A midi, elle dormait toujours. Frappe à la porte. Femme de ménage. Elle décide de déménager et règle son compte. Prend un taxi, se fait conduire sur la rive gauche. Rue de la Harpe Hôtel à la façade pimpante […]. Pilules ? Elle ne savait pas combien. Elle avait lu dans un roman policier que quand on en prenait trop on provoquerait un vomissement. Revolver de son père. "
Feuillet 4 : " En se regardant dans le miroir, elle ressentie le besoin de parler une dernière fois à quelqu'un. Le jeune homme de la dernière nuit ne lui avait donné ni son nom ni son numéro de téléphone.
Quand la baignoire fut remplie, les robinets fermés. Dans la chambre, il y avait un buvard sur la table. Elle trouva dans son sac à main un vieux stylo à bille de couleur verte. " Mon vieux Bob. Cette fois ci c'est définitif quand tu recevras cette lettre, je serai morte. J'espère que quelqu'un de l'hôtel voudra bien la poster car je ne peux plus descendre. Je ne sais plus ce que j'ai écrit à Lausanne et qui devait être leur dernière lettre." […]
Feuillet 5 : " Au fond, je ne suis pas dans la réalité. Il y a même un écran entre celle-ci et moi. On m'a accusé d'égoïsme, d'orgueil. Je ne crois pas que ce soit vrai. C'est justement cet écran invisible qui me donne si souvent une sorte de vertige. Je ne sens plus le monde vrai. Ou plutôt je n'ai pas l'impression d'en faire partie. C'est pourquoi il vaut mieux que je m'en aille. "[…]
Les derniers feuillets concernent la rencontre avec l'étudiant et son suicide raté.
Bibliographie : Pierre Assouline, Simenon. 1992, Julliard.