Comment:
Nicolas de Largillierre incarne, aux côtés de Hyacinthe Rigaud et de François de Troy, l'âge d'or du portrait français sous le règne de Louis XIV. Fort de son observation de l'art de Van Dyck et de Peter Lely au cours de sa jeunesse flamande et de plusieurs séjours en Angleterre, Largillierre fut l'un des premiers à repousser le poids de la tradition classique dans l'art du portrait et à donner à ce genre une impulsion nouvelle.
Daté de 1701, notre portrait témoigne d'une période d'apogée dans la carrière parisienne du peintre. Peu de temps auparavant, en 1699, Largillierre avait brillé au Salon en exposant une commande des échevins de Paris illustrant le mariage du duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie (perdu) et onze portraits. Parmi ceux-ci se trouvait celui de Léonor Aubry, président de la Chambre des comptes et père de notre modèle ; celui de son épouse Marie Bigot, impayé en 1699, ne sera quant à lui exposé au Salon qu'en 1704 (les deux sont conservés dans une collection particulière française).
Deux ans plus tard, Charles-Léonor Aubry, marquis de Castelnau, conseiller au parlement, commande à Largillierre son portrait et celui de son épouse, née Catherine Coustard, et de leur fils Léonor. Le pendant de notre portrait est aujourd'hui conservé au Minneapolis Institute of Arts (fig. 1).
Comme à son habitude, Largillierre a représenté son modèle à l'extérieur, devant un paysage indéfini où l'on distingue des branchages et des fleurs, sous un ciel obscur permettant de mieux faire surgir la figure de Charles-Léonor Aubry. Ce dernier est représenté accoudé sur une balustrade, portant une tenue de magistrat représentative de sa fonction, portant une imposante perruque et tenant des feuillets manuscrits. Le naturel et la justesse de cette composition illustrent la grande maîtrise atteinte par le peintre pour réaliser ces effigies de hauts personnages, notables ou bourgeois, français comme étrangers, qui le tenaient en haute estime.
Ce portrait nous permet également d'apprécier les qualités de coloriste et la virtuosité de Nicolas de Largillierre, aussi bien dans les épais plis rouge et les reflets du noir de sa robe que dans la description minutieuse des lourdes boucles de sa perruque, ou encore dans le rendu du papier épais et rugueux du manuscrit. La grande délicatesse des mains est également l'une des caractéristiques de l'artiste.
Resté dans la même famille depuis le milieu du XIXe siècle, le portrait de Charles-Léonor Aubry, témoignage des raffinements du Grand Siècle, traversa les vicissitudes de l'histoire avec chaque génération et fut transmis avec affection jusqu'aux propriétaires actuels.