Comment:
La composition de cette Sainte famille était connue par plusieurs copies de petit format, de qualité inégale, dont une est conservée au musée de Strasbourg (16 x 14 cm). Bartolomeo Schedone a lui-même gravé ce sujet, en excluant saint Jean-Baptiste et en plaçant la Sainte Famille à droite d'un pan de mur et sur un fond de ciel nuageux (fig. 1)1. La gravure traduit le sfumato de la toile en graduant les traits hachurés, entrecroisés ou non.
Cette gravure est très probablement celle citée en 1748 (" il a gravé en petit une petite Sainte famille et réalisé aussi deux autres gravures d'après ses propres œuvres 2") pour attester que Bartolomeo Schedone pratiqua la gravure, au moins de manière occasionnelle. En 1818, Bartsch mentionne Schedone comme graveur, ne retenant qu'une seule œuvre : " La Vierge ayant devant elle l'enfant Jésus qui, assis sur une table, tiens de ses deux mains une petite croix3 ". Le musée des Offices conserve un dessin préparatoire au motif de la Vierge à l'Enfant (fig. 2, craie noire et blanche, 16,5 x 15,3 cm) et le musée du Louvre un dessin de Sisto Badalocchio qui reprend la composition avec Saint Jean-Baptiste.
Negro et Roio cataloguent une toile (fig. 3, 32 x 24,5 cm, coll. privée) décrite comme "un dipinto evidentemente rimasto allo stato di abbozzo4" (une peinture évidemment restée à l'état d'ébauche), précisant que c'est là la seule toile de bonne qualité qui puisse être mise en rapport avec la gravure signée du maître. D'un format légèrement inférieur à notre Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste, elle en est une esquisse.
En 1613, Bartolomeo Schedone est au service du duc de Parme, Ranuccio Farnèse (1569-1622). L'ayant remarqué, celui-ci l'envoya dès 1594 se former à Rome dans l'atelier de Federico Zuccari. Le jeune homme n'y reste pas et finit sa formation à Parme où il s'imprègne des œuvres du Corrège et travaille pour les plus grands mécènes de la région: le duc Ranuccio et le duc d'Este à Modène. En 1607, il s'installe définitivement à Parme, acceptant de signer un contrat d'exclusivité avec le duc Ranuccio. On peut donc penser que cette Sainte Famille fut chez les Farnèse de 1613 à 1727, date de la mort du dernier duc de Parme, Francesco Farnèse.
L'inventaire du Palazzo del Giardino à Parme en 1693 la décrit dans l'appartement de la princesse Marie-Madeleine, sœur de Ranuccio Farnèse: " Madonna con bambino, S Gio. Battista, e San Giuseppe in cornice dorata gran.a del Schedone n° 545 " (" Vierge à l'enfant, Saint Jean-Baptiste et Saint Joseph dans un cadre doré, de Schedone n° 54 "). Elle apparaît encore sous le n° 294 dans les 329 œuvres retenues pour être exposées dans la nouvelle galerie ducale, au palais de la Pilotta de Parme : " Quadro cornice alto br[acci]a uno, largo once dieci. Una Madonna in atto di parlare con S.Giuseppe. Il Bambino in grembo con croce in mano, e di dietro S.Gio. Batt.a con iscrizione in fondo " 1613 Bartolomeo Schedoni6 " (" un tableau sans cadre une brassée de haut et 10 pouces de large [54,5 x 45,4 cm]. Une Vierge qui parle avec Saint Joseph, enlaçant l'enfant qui tient une croix dans la main, derrière saint Jean-Baptiste avec une inscription au fond " 1613 Bartolomeo Schedoni ").
Francesco Farnèse décédé sans héritier direct, ses collections passent à Charles de Bourbon (fig. 4), fils d'Elisabeth Farnèse, épouse de Philippe V d'Espagne. Devenu Charles VII, roi de Naples et de Sicile, celui-ci fait construire le palais de Capodimonte à Naples à la fin des années 1750 pour accueillir ses collections. En 1759, il devient roi d'Espagne sous le nom de Charles III et cède les royaumes de Naples et de Sicile à son fils Ferdinand. Dans l'inventaire des collections de Capodimonte établi en 1783 par Tommaso Puccini on retrouve cette Sainte famille avec Saint Jean-Baptiste " da lui intagliata " (qu'il a lui-même gravée)7.
Depuis, elle n'était plus localisée. Dans les deux ouvrages de 1999 et 2000, elle est mentionnée comme disparue, ainsi que dans la notice d'une autre Sainte Famille (toile, 106 x 89 cm) de même provenance conservée au musée du Louvre. Bartolomeo Schedone a placé un papier déplié sur le fond du tableau. Stéphane Loire voit dans cet artifice, qui montre une fois encore la capacité du peintre à maîtriser les effets de lumière, un moyen d'établir une distance respectueuse entre le spectateur et le sacré8. De la même manière celui du premier-plan de notre composition s'interpose entre la Sainte Famille et nous.
Federica Dallasta, après examen photographique de notre tableau, y reconnaît une participation de l'atelier, alors florissant. En effet, en 1613, Bartolomeo Schedone est à l'apogée de sa carrière, et son atelier regroupe de nombreux peintres dont son frère Giambattista, qu'on ne peut malheureusement pas identifier avec certitude en l'état actuel de nos connaissances. Le visage de l'Enfant Jésus, en particulier, diffère de la manière de Schedone, qu'il soit dû à une intervention de l'atelier ou bien qu'il soit en partie restauré. Cependant, le délicat visage de la Vierge lui paraît être de Bartolomeo Schedone lui-même.
1. Negro et Roio, op. cit., n° 55AS et Dallasta et Cecchinelli, op. cit., p. 369, fig. 80A
2. Cité par Dallasta et Cecchinelli, op. cit., p. 192
3. Cf. A. Bartsch, Le Peintre-graveur, Vienne, 1818, vol. 18, p. 206-207
4. Negro et Roio, op. cit., p. 109-110, cat. 55A
5. Cité par Dallasta et Cecchinelli, op. cit., p. 277
6. Cité par Dallasta et Cecchinelli, op. cit., p. 279
7. Cité par Dallasta et Cecchinelli, op. cit., p. 192
8. Stéphane Loire, Ecole italienne, XVIIe siècle. T.I : Bologne, Paris, 1996, p. 336