Comment:
L'exécution de ce tableau, inédit jusqu'ici, doit être replacée dans l'ambiance artistique de Valence à la fin du XVIe siècle. La célèbre 'Cène' milanaise de Léonardo da Vinci à Santa Maria delle Grazie (vers 1497) dont le modèle fut diffusé à Valence par une copie conservée à la cathédrale jusqu'en 1585 - date à laquelle elle fut offerte au roi Philippe II d'Espagne - constitue la source évidente de la composition de notre tableau.
Vincente Macip (Valence, vers 1475-1550) a laissé une première version de la 'Cène' vers 1545 (Valence, Museo de Bellas Artes). Son fils Joan de Joanes (mort en 1579) en exécuta plusieurs autres, conservées à Valence, respectivement dans l'église San Nicolas, la cathédrale et à Madrid (musée du Prado) 1. Ce sont autant de variations sur le thème initial illustrant plus précisément le passage des Évangiles de 'l'Institution de l'Eucharistie' ou de 'l'Annonce de la trahison' (Mt 26, 20-29 ; Mc 14, 17-26 ; Lc 21, 14-24).
C'est ce dernier moment que l'auteur de notre tableau a choisi de représenter. Comme dans les exemples cités supra et en particulier dans la version du Prado (vers 1565-1570), les apôtres réunis autour du Christ dans une salle, ici totalement close, sont assis derrière une longue table couverte d'une nappe aux plis marqués par lumière où sont disposés les aliments. Au premier plan les oenochoe et les pieds nus des disciples rappellent l'épisode du Lavement des pieds intervenu juste avant la Cène (Jn 13, 1-18). Le Christ, au centre du groupe, fragile silhouette, les bras et les mains écartés, le regard baissé et résigné, révèle aux apôtres l'action prémonitoire de celui qui le trahira : Judas, mis traditionnellement à l'écart, reconnaissable à son vêtement jaune, son absence d'auréole et la bourse du tribut qu'il tient en mains.
Dans une atmosphère moins agitée que chez Joanes, l'artiste décrit l'effet de cette annonce sur l'attitude physique et mentale des disciples que l'action d'une forte lumière met en relief. Tout en restant dans la lignée de Joan de Joanes par la composition, le traitement des draperies plissées et l'utilisation d'une palette colorée, certes moins saturée, le peintre de notre tableau s'en démarque par le dessin plus vaporeux, moins appuyé et moins classique des visages, dû au pinceau d'un artiste différent, travaillant dans l'atelier du maître.
1. Cf. 'Vincente Macip', exposition Valence, 24 février-20 avril 1997, n°68 ; 'Joan de Joanes' exposition Madrid, décembre 1979-janvier 1980 et Valence février 1980, n°23, 25, repr. p. 12 ; J. Albi, 'Joan de Joanes y su circulo', Valence, 1978, vol. II, p. 437 et sq.