Comment:
Nous pouvons rapprocher ce grand format inédit de Luca Giordano de deux tableaux sur le même thème mythologique, plus petits (139 x 126 cm), conservés à la Villa Albani-Torlonia à Rome (fig. 1 et 2) 1. Cette paire est datée entre 1663 et 1665, au moment où l'artiste illumine sa palette grâce à ses voyages à Venise et incorpore au naturalisme ribéresque présent dans ses œuvres antérieures2 des éléments plus baroques, tirés de Titien, Rubens et de Pierre de Cortone.
Selon la fable, Bacchus, né des amours interdits de Jupiter et Sémélé, est élevé loin de l'Olympe pour échapper à la colère de Junon. Il se cache dans la grotte des nymphes du Mont Nysa où il se nourrit de la vigne qui en dissimulait l'entrée. Nous reconnaissons le jeune dieu au centre de notre toile, couronné de pampres, suivant l'iconographie qui lui est consacrée, et tenant un panier de raisins. Ses autres attributs ou compagnons habituels sont ici le thyrse à ses pieds, le satyreau ivre, la chèvre, l'outre de vin, son précepteur Silène (en haut à droite) et Pan avec sa flûte.
Les représentations d'un groupe d'enfants portant des symboles dionysiaques, jouant, buvant et se chamaillant, sont très populaires du XVIe au XVIIIe siècle. Elles puisent leur inspiration dans les vers de Virgile et dans des bas-reliefs antiques illustrant des cortèges de bambins venus aux noces de Bacchus et d'Ariane, ou qui accompagnaient le dieu du vin lors de son retour d'Asie. Parmi les compositions qu'a pu connaître Giordano sur ce thème3, parfois indirectement par des copies ou gravures, citons celles d'Andrea Mantegna ('Bacchanale avec Silène', gravure), d'Annibal Carrache (Rome, plafond de la galerie du palais Farnèse), de Guido Reni (Rome, Palais Barberini), Nicolas Poussin (idem), François Duquesnoy, Pierre-Paul Rubens (Munich, Alte Pinakothek), Giovanni Andrea Podestà (plusieurs versions peintes ou gravés) ou encore, les 'Jeux d'enfants sous la statue de Bacchus' de son compatriote Bernardo Cavallino (vers 1640/1650, Naples, musée de Capodimonte). 'L'Offrande à Vénus' (Madrid, Musée du Prado), avec sa multitude d'amours poupins, livrée par Titien à Alphonse d'Este en 1518, a servi de modèle à tous ces artistes. L'œuvre était visible à Rome dans la collection du cardinal Ludovico Ludovisi, jusqu'au milieu du XVIIe siècle, et était très appréciée dans le cercle classique de Cassiano dal Pozzo.
Luca Giordano donne ici sa propre interprétation du sujet, assimilant de nombreux modèles antérieurs, parfois antinomiques, et réinventant une composition virevoltante, enjouée, baroque.
Nous remercions le professeur Nicola Spinosa de nous avoir aimablement confirmé l'attribution de ce tableau d'après une photographie.
1. O. Ferrari et G. Scavizzi, 'Luca Giordano', Naples, 1992, vol. 1, p. 277, n°A170 a et b, repr. vol. 2, p. 553, fig. 249 et 250.
2. Influence plus particulièrement discernable dans les deux figures en haut à droite.
3. Le titre italien de l'" Educazione di Bacco " est plus explicite que celui habituellement utilisé en France.