Comment:
Notre toile est probablement l'esquisse de deux compositions de plus grandes dimensions : l'une, datée de 1883, est conservée au Milwaukee Art Center (Wisconsin, toile, 72 x 129 cm) ; l'autre, une ébauche, est dans une collection particulière (toile, 48,5 x 87,5 cm). Ces deux tableaux sont mentionnés et reproduits en noir et blanc dans la monographie de Gerald M. Ackerman, 'Jean-Léon Gérôme'. Le nôtre est inédit.
Ackerman décrypte l'image, mettant en scène les deux forces de la Nature face à face, comme "peut-être une allégorie de Napoléon". Les auteurs du catalogue de l'exposition de 2011 au musée d'Orsay rappellent que Gérôme s'identifiait au fauve, et que la presse l'adulait ou le caricaturait suivant cette comparaison. L'empereur et le maître académique partagent le fait d'avoir le vocable "Léon" dans leurs nom ou prénom, et par ailleurs le lion est l'attribut iconographique de saint Jérôme.
Vers 1880, l'artiste, ami et admirateur des sculpteurs animaliers Barye et Frémiet, commence à étudier les félins au jardin des plantes et dans les ménageries des cirques ambulants pour son tableau 'Dernières prières des martyrs chrétiens', dans lequel un grand lion occupe la partie gauche. Les études pour cette reconstitution historique sont développées dans plusieurs toiles où le fauve domine des paysages orientalistes, désertiques ou des vallées solitaires. Pour Gérôme, le lion est une puissance virile, une force au repos : son esprit phallocrate ignore que ce sont les femelles qui chassent. Par la suite, il aménagea chez lui une ménagerie avec un lion dans une cage.
La postérité de ces images avec la bête sauvage sur un rocher dominant un vaste espace est grande et parfois inattendue, de 'la Bohémienne endormie' du Douanier Rousseau (où la pleine lune a remplacé le soleil) à certaines scènes et à l'affiche du 'Roi Lion' des studios Disney. Notre composition inspira au poète canadien Charles Gill un sonnet publié en 1919 intitulé, "Les trois majestés" et ainsi dédicacé :
"À mon illustre maître Gérôme
Écrit au bas d'une gravure
Représentant son chef-d'œuvre
" Les Deux Majestés "".
Lion au front puissant, père de ce lion
Qui regarde, étonné, le soleil disparaître ;
Toi qui prêtas ton aide à la construction
Du temple néo-grec, et devins son grand-prêtre ;
Toi qui sais pénétrer en pleine passion
Des âges révolus, et les fais comparaître
Devant les temps futurs, infatigable maître
Qui hausses d'un degré ta haute nation ;
Toi qui, sur l'Art divin, as fait glisser le voile,
Pour nous montrer ton ciel immense à découvert,
Salut ! - Trois Majestés ennoblissent ta toile…
Entre l'Imperator farouche du désert
Et l'éblouissement de la voûte infinie,
Je te vois resplendir, majesté du Génie.
1. Paris, rééd. 2000, n° 322 et 322.2, p. 310 et 311