Comment:
Elève dès 1845 du peintre Louis Leborne à Nancy, puis de Léon Cogniet à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris à partir de 1852, Charles Sellier obtient le Prix de Rome en 1857. Pensionnaire à la villa Médicis, il côtoie Degas et lie de solides amitiés avec Carpeaux et Henner. Tout au long de son séjour italien, il envoie à Paris des sujets érudits ou bibliques empreints de mysticisme. L'œuvre que nous présentons est une rare esquisse peinte (la seule connue à ce jour) pour Le Lévite d'Ephraïm, toile monumentale que Sellier réalisa durant sa dernière année à Rome, et actuellement conservée au musée des Beaux-Arts de Nancy (260 x 207 cm). L'artiste élabore une esthétique très personnelle, résolument éloignée des codes de la peinture académique, en associant dans un puissant clair-obscur la suggestion d'une atmosphère matinale à un drame biblique. Le protagoniste de la scène, vêtu d'un burnous blanc, avance sur un étroit chemin de montagne, accompagné d'un âne portant le cadavre de sa jeune épouse. Sellier a choisi de représenter le moment précis où l'infortuné Éphraïmite tend la main pour maudire la ville de Guibéa, où sa compagne a été sauvagement violée et assassinée (Jg, 19, 22-25). Présenté au Salon de 1864, puis à l'Exposition universelle de 1867, le tableau final surprend la critique par sa clarté inhabituelle, et suscite les éloges de Louis Auvray : " La lumière naissante de la première heure du jour, cette insaisissable réalité du matin, donne à cette scène un effet des plus poétiques et des plus imposants1. " Découpant l'horizon, le geste désespéré du pauvre homme paraît empreint d'une puissance expressive dont Gustave Moreau était friand, et fait indéniablement de Charles Sellier un précurseur du symbolisme.
1. L. Auvray, " Chronique des Beaux-Arts ", 'Revue artistique et littéraire', juillet 1863, p. 149.