Comment:
Notre dessin est une importante étude en rapport avec le cliché-verre de la Précaution maternelle réalisé en 1862. Elle présente de nombreuses petites variantes qui font penser à Herbert qu'il pourrait s'agir d'un dessin préparatoire pour le cliché-verre. Dans le catalogue de l'exposition Jean-François Millet de 1976, Herbert étudie le dossier de la Précaution maternelle et sépare en trois groupes les études reliées à cette composition. Le premier se rapporte à la composition peinte en 1855 (tableau conservé au musée du Louvre (fig.1)), et le second au cliché-verre de 1862, tandis qu'un troisième réunit des dessins indépendants des deux groupes précédents.
A propos du groupe concernant le cliché-verre, il cite notre dessin en ces termes : " Un dessin du Louvre s'en rapproche par sa manière très libre (voir n°112), mais la plus importante étude pour cette composition de 1862 est un très beau dessin à l'encre appartenant à une collection parisienne (H 0,278 ; L 0,218, dim. visibles) " (voir op. cit.). Millet ne réalisa en tout et pour tout que deux cliché-verre (Delteil, Le peintre-graveur illustré, I, J.F.Millet, Th. Rousseau…, Paris, 1906, n°27 et 28). Le second montre une Femme vidant un seau ; Herbert signale un dessin à l'encre noire de cette composition dans une collection particulière (voir op. cit., n°132), qui fut exposé ensuite par la galerie Prouté (catalogue Dolci, galerie Paul Prouté, 2006, n°28, repr.). Ce dessin est de même technique et de même dimension que notre feuille. Herbert en distingue cependant la fonction : tandis qu'il estime le nôtre préparatoire au cliché-verre (sans doute à cause des nombreuses petites variantes), il donne cet autre dessin comme une œuvre indépendante plutôt qu'une préparation pour la gravure.
Eugène Cuvelier (1822-1871) est l'inventeur du procédé. Le cliché-verre ou halyographie ou héliographie, est une combinaison du dessin, de la gravure et de la photographie. Une plaque de verre est enduite d'encre et saupoudrée de poudre de céruse. L'artiste dessine à la pointe d'acier. Le tracé dégage le verre translucide. Le tirage est obtenu par l'action de la lumière qui passe à travers le verre et marque le papier sensible, qui est ensuite révélé et fixé. La technique du cliché-verre autorise l'impression dans les deux sens, ce qui permet d'avoir des effets de traits différents, plus ou moins épais. Cuvelier fait connaître son procédé à Corot en 1853. Il sera utilisé par d'autres peintres de Barbizon comme Théodore Rousseau et Charles Daubigny, ainsi que par Delacroix brièvement.
Dans ses deux cliché-verre, Millet reprend des thèmes déjà abordés dans des petits tableaux datant de 1855 et 1857, et qu'il continue à reprendre pendant longtemps. Millet en effet réalisa des répliques jusqu'en 1869, puisqu'il écrit le 15 janvier de cette année-là à Sensier : " J'ai envoyé à Martin un petit dessin pour la vente Lainé. C'est la reproduction de l'enfant qui pisse fait sur verre pour Cuvelier ". Avant Millet, le thème fut abordé par Boilly au début du XIXe siècle. Le terme alambiqué de " la précaution maternelle " utilisé par Sensier pour décrire avec puritanisme la scène est, comme on peut le voir dans la lettre de Millet adressée à Sensier, un " enfant qui pisse " dans la tête de l'artiste. Le naturalisme provoque encore de nos jours, suivant le regard que nous portons sur la chose.