Rarissime et très précieux dessin original, avec légende autographe : " Jeune cocher de Londres " et légende manuscrite : " Dessin d'Arthur Rimbaud. Londres 1873 ", cette dernière " étant probablement de la main de Verlaine " selon Jean-Jacques Lefrère (Les Dessins d'Arthur Rimbaud). Encre et plume, 12, 5 x 7, 5 cm, encadrement sous verre.
Un des 5 documents connus illustrés par Rimbaud. Le poète, qui fréquenta Fantin-Latour, Gill, Forain, fait la part belle aux notations colorées dans son œuvre poétique, mais d'une manière subjective très originale - voyelles en est l'exemple extrême. Rimbaud semble néanmoins avoir été plus attiré par la caricature que par la grande peinture : Forain raconte comment son ami regardait par la fenêtre lors d'une visite commune au Louvre.
Rimbaud a peu pratiqué le dessin lui-même : mis à part deux pièces portant des croquis utilitaires, il n'a laissé que seize dessins de sa main illustrant cinq rarissimes documents de jeunesse recensés par Jean-Jacques Lefrère (Les Dessins d'Arthur Rimbaud). Il s'agit du " cahier des dix ans ", qui portent sept scènes humoristiques (7 ff. en sont conservés au Musée-bibliothèque Arthur-Rimbaud de Charleville-Mézières, et un f. dans une collection particulière) ; de l'" Album zutique ", dont un des " vieux coppées " de Rimbaud est accompagné de trois dessins (cet album est aujourd'hui la propriété des héritiers Latécoère) ; du présent " Jeune cocher de Londres " ; et de deux lettres à Ernest Delahaye, l'une de mai 1873 illustrée de deux compositions, l'autre de mars 1875 illustrée de trois compositions (lettres conservées toutes deux à la Bnf).
Il existe également des " décalques " exécutés à partir de périodiques illustrés qui ont appartenu à la famille Rimbaud, mais que l'on ne peut attribuer avec certitude à Arthur ou à son frère et ses sœurs. Ce sont ces décalques sans paternité sûre qu'Apollinaire avait trouvés " très amusants, très singuliers " (" Dessins d'Arthur Rimbaud ", dans Paris-journal, 10 juillet 1914).
Un autre " Cocher ivre " de Rimbaud. Personnages universellement réputés pour leur langage ordurier, leur caractère violent et leur ivrognerie, les cochers ne pouvaient manquer d'attirer le regard de Rimbaud, qui en fit un poème inscrit en 1871 dans l'" albulm zutique ", " Cocher ivre " :
" Pouacre
Boit :
Nacre
Voit :
Acre
Loi,
Fiacre
Choit [...] "
Verlaine, qui fut le compagnon de Rimbaud en Angleterre en 1872-1873, évoque les cochers londoniens dans une lettre à son ami Edmond Lepelletier du 22 septembre 1872. Il y décrit la population bigarrée des pubs de Londres : " messieurs biens mis, pauvres hideux, portefaix tout en blanc, cochers bouffis comme nos cochers et hirsutes comme eux ".
Verlaine conserva jusqu'à sa mort cette relique de son compagnonnage avec Rimbaud. Verlaine, qui avait reçu une lettre de Rimbaud en août 1871, l'accueillit à Paris en septembre, et débuta avec lui une amitié houleuse qui souleva le scandale. En juillet 1872, il partit vagabonder en Belgique avec Rimbaud, délaissant sa femme à qui il écrivit : " Ne pleure pas ; je fais un mauvais rêve, je reviendrai un jour ". Quand celle-ci vint à Bruxelles pour tenter de le récupérer, il accepta d'abord de revenir avant de s'échapper finalement en lui écrivant cette fois-ci :
" Misérable fée carotte, princesse souris, punaise qu'attendent les deux doigts et le pot, vous m'avez fait tout, vous avez peut-être tué le cœur de mon ami ; je rejoins Rimbaud, s'il veut encore de moi après cette trahison que vous m'avez fait faire ".
Verlaine et Rimbaud réunis gagnèrent alors Londres en septembre 1872.
Verlaine : " Ma vie ici est tout intellectuelle. Je n'ai jamais plus travaillé qu'à présent [...]. Me voici tout aux vers, à l'intelligence, aux conversations purement littéraires et sérieuses. Le très petit cercle d'artistes et littérateurs... " (lettre à Lepelletier, 6 novembre 1872). Vers le début décembre 1872, Rimbaud rentra en France, laissant Verlaine dans un immense désarroi :
" Rimbaud (que tu ne connais pas, que je suis le seul à connaître) n'est plus là. Vide affreux ! Le reste m'est égal. " (Verlaine au même Lepelletier, 26 décembre 1872).
Verlaine tomba alors très malade, et Rimbaud revint auprès de lui :
" Voici 2 fois que je crois mourir. Je n'ai dû mon salut qu'aux soins de ma mère, joints à l'admirable dévouement de Rimbaud " (Verlaine à Émile Blémont, 22 avril 1873).
Verlaine : " Tous les jours nous faisons des courses énormes dans les faubourgs et la campagne " (lettre à Émile Blémont, 17 février 1873). Commença en effet un second séjour commun dans la capitale, de janvier à juillet (avec un entr'acte sur le continent en avril-mai) :
" Nous apprenons l'anglais à force, Rimbaud et moi. Dans Edg. Poe, dans les recueils de chansons populaires, dans Robertson, etc., etc. De plus, chez les marchands, public houses, libraires, etc., nous nous faisons poser des "colles" au point de vue de la prononciation. Tous les jours nous faisons des courses énormes dans les faubourgs et la campagne, Kew, Woolwich, etc. Car tout Londres nous est connu de longue date. Drury-Lane, White-Chapel, Pimlico, Angel, la Cité, Hyde-Park, etc. n'ont plus de mystère pour nous. "
Néanmoins, Rimbaud refusant de travailler, des problèmes d'argent se posèrent, entraînèrent des disputes emportées, et ce fut Verlaine qui cette fois décida de partir :
" Cette vie violente et toute de scènes sans motif que ta fantaisie ne pouvait m'aller foutre plus " (télégramme de Verlaine à Rimbaud, en mer, 3 juillet 1873).
Rimbaud à Verlaine : " Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. "
" Je te jure que je serai bon [...]. L'affreux moment ! Mais toi, quand je te faisais signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? [...] Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure-là ! [...] Oui c'est moi qui ai eu tort / Oh tu ne m'oublieras pas, dis ? / Non tu ne peux pas m'oublier. Moi je t'ai toujours là. / Dis, réponds à ton ami, est-ce que nous ne devons plus vivre ensemble ? " (Londres, 4 juillet 1873).
Rimbaud à Verlaine : " Avec moi seul tu peux être libre [...] Resonge à ce que tu étais avant de me connaître " (Londres, 5 juillet 1873). C'est quand ils se retrouvèrent en Belgique, que Verlaine tira un coup de feu sur Rimbaud, le 10 juillet 1873, mettant fin à cette tumultueuse relation.
À Londres, Verlaine composa ses Romances sans paroles, tandis que près de lui Rimbaud écrivait des pages des Illuminations et d'Une Saison en enfer...
Provenance
- Collection Cazals. Le dessinateur et chansonnier Frédéric-Auguste Cazals (1865-1941), ami des dernières années de Verlaine, avait reçu en legs de celui-ci un important ensemble de papiers et de souvenirs, dont le présent dessin.
- Bibliothèque Éluard, n° 5 du catalogue de 1956 de la librairie Rauch.
- Bibliothèque du château de Prye (collection Emmanuel Du Bourg de Bozas), n° 228 du catalogue de sa première vente aux enchères, Drouot-Montaigne, étude Laurin-Guilloux-Buffetaud-Tailleur, 27 juin 1990. Avec reproduction.
Expositions
- POIL ET PLUME. Paris, galerie Boissy d'Anglas, mars 1909.
- L'UN POUR L'AUTRE, LES ECRIVAINS DESSINENT. Caen, IMEC, Lisbonne, Musée Berardo, Ixelles, Musée communal, janvier 2008-janvier 2009. Reproduction dans la notice n° 12 du catalogue.
Bibliographie
- BOHER (Alain). Rimbaud : l'heure de la fuite. Paris, Gallimard, collection " Découvertes ", 1991. Reproduction p. 74.
- DESSINS D'ECRIVAINS. Paris, Éditions du Chêne, 2003. Reproduction p. 45.
- FAUCHEREAU (Serge). Peintures et dessins d'écrivains. Paris, Éditions Belfond, 1991. Reproduction p. 88.
- JEANCOLAS (Claude). Passion Rimbaud : l'album d'une vie. Paris, Textuel, 1998. Reproduction p. 93.
- LEFRERE (Jean-Jacques). Arthur Rimbaud. [Paris], Fayard, 2011. Reproduction dans le second cahier de planches.
- LEFRERE (Jean-Jacques). Les dessins d'Arthur Rimbaud. Paris, Flammarion, 2009. Reproduction sur la couverture et p. 37.
- MATARASSO (Henri) et Pierre PETITFILS. Album Rimbaud. [Paris], Gallimard, Nrf, Pléiade, 1967. Reproduction p. 151.
- PETITFILS (Pierre). Album Verlaine. [Paris], Gallimard, Nrf, Pléiade, 1981. Reproduction p. 113.
- RIMBAUD (Arthur). Œuvres. Strasbourg, Éditions Brocéliande, 1960. Reproduction p. 61.