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Formé dans un premier temps auprès d'Antoine Rivalz à Toulouse, le talent précoce de Pierre Subleyras lui valut de gagner rapidement les rangs de l'Académie royale à Paris. Il remporta avec le Prix de Rome de 1727 sa place de pensionnaire au sein de la villa Médicis. A l'issue de sa formation, il épousa une romaine et s'installa définitivement dans la ville éternelle.
Il doit sa réputation notamment à son talent pour la grande peinture d'histoire, tout particulièrement religieuse. Une telle activité ne pouvait que séduire les commanditaires romains et lui assura un succès qui franchit rapidement le cadre de cette ville.
Il reçut en effet vers 1738-1739 la commande d'un tableau pour orner l'un des quatre autels de la nef de l'église des saints Cosme et Damien de Milan. Cette importante église, appartenant à l'ordre des Pères Hiéronymites, venait alors d'être restaurée et nécessitait de nouveaux éléments de décor. Pierre Subleyras peignit 'Saint Jérôme écoutant les trompettes du Jugement dernier' 1; thématique en lien avec la destination de l'œuvre, l'auteur de la Vulgate étant le protecteur de l'ordre des Pères Hiéronymites, dits aussi les ermites de Saint Jérôme.
Ce premier tableau ne manqua pas de satisfaire ses commanditaires, puisqu'ils s'adressèrent à nouveau à Subleyras pour un second retable. Subleyras acheva celui-ci à Rome en 1744 et y représenta le 4Christ en croix entre saint Eusèbe, saint Philippe Néri et la Madeleine' 2 (fig. 1). Notre étude est préparatoire à ce second tableau.
Consacrée à la seule figure de saint Eusèbe, situé à gauche au pied de la croix dans la composition définitive, cette esquisse est révélatrice du travail préparatoire de Subleyras pour ses grandes commandes. Le peintre étudie en effet séparément les principaux personnages sur des toiles de petits formats, après avoir dessiné l'ensemble de la composition. Deux autres études sur toiles, l'une pour saint Philippe Néri et l'autre pour la Madeleine, sont également connues 3.
Né à Crémone au IVe siècle, saint Eusèbe fut l'un des compagnons de saint Jérôme avec lequel il voyagea en Orient et fonda un monastère à Bethléem. Il s'agit donc à nouveau d'un personnage revêtant une importance particulière pour les commanditaires de l'œuvre, dont il porte ici l'habit composé d'une tunique de drap blanc, serrée par une ceinture de cuir noir et un scapulaire noir avec un petit capuchon.
Les esquisses sur toile de Subleyras furent très appréciées des amateurs dès la fin du XVIIIe siècle 4. Elles sont en effet particulièrement séduisantes par la liberté de la touche, l'intensité de l'éclairage et la puissance des blancs utilisés par l'artiste. A cet égard, notre saint Eusèbe est tout à fait caractéristique de cet aspect de l'art de Subleyras. La qualité du coloris, d'une harmonie et d'une sobriété presque modernes, met en exergue la richesse de la matière modelant le vêtement du personnage. Cet effet culmine dans le traitement en plis épais de la robe blanche du moine, d'une force et d'une onctuosité saisissantes.
1. L'œuvre est actuellement conservée à la pinacothèque Brera de Milan. Plusieurs esquisses préparatoires pour la figure de Saint Jérôme sont connues.
2. Ce second tableau se trouve également à la pinacothèque Brera de Milan.
3. Conservées respectivement dans une collection privée parisienne et à la pinacothèque de Munich, voir cat. exp. 'Pierre Subleyras', Paris-Rome, 1987, p. 279 et p. 282.
4. Voir cat. exp. 'L'Apothéose du geste. L'esquisse peinte au siècle de Boucher et Fragonard', Strasbourg-Tours, 2003, p.30.