103
Théodore Géricault Rouen, 1791 - Paris, 1824
Etude de cheval espagnol dans une écurie
Estimation:
€40,000 - €60,000
Sold :
€47,628

Lot details

Etude de cheval espagnol dans une écurie
Huile sur papier vergé marouflé sur toile

Porte le numéro 12 à la craie au verso sur la traverse du châssis
Trace de cachet de cire rouge au verso
dimensions du papier : 26 x 31,50 cm

Provenance:

Ancienne collection Edmond Courty;
Collection particulière, Paris

Comment:
Passionné par le monde des écuries, on sait que Géricault y passa dès sa prime jeunesse de longs moments : " Jamais peintre, écrivait Chabert vers 1829, ne retraça mieux que lui cette intéressante espèce d'animaux, destinés dès leur naissance aux plus pénibles exercices de la vie. Qu'ils travaillent ou qu'ils reposent à l'écurie, son pinceau les peint avec cette simplicité et cette vérité dont le type est dans la nature. Paul Potter et Wouwermans eussent admiré la touche facile et savante de Géricault, tout en lui enviant pour ce genre de peinture cette correction de style qui se fait remarquer dans ses compositions […] " (1).
L'heureuse découverte de cette esquisse préparatoire au célèbre tableau du musée du Louvre (fig. 1) vient compléter une importante série que l'artiste consacra aux portraits de chevaux entre 1811 et 1814 (2) mais nous renseigne encore sur les méthodes de travail de l'artiste. Selon nous cette esquisse est une véritable étude faite sur nature, dans l'écurie, à l'huile et sur papier, à la différence du tableau du Louvre qui aurait été peint sur toile, d'après ce travail initial. Une fois dans son atelier, Géricault aurait procédé à quelques modifications par rapport à son modèle, ce qui explique les différences notoires entre les deux œuvres (différences qui excluent d'emblée que l'esquisse sur papier puisse être une simple copie d'après le tableau du Louvre). Notons tout d'abord le format de l'esquisse (26 x 31,5 cm) et celui du tableau final, sensiblement plus grand (50 x 61 cm). On peut donc dire que les dimensions ont été doublées.
Il faut encore remarquer que la composition n'est pas tout à fait la même puisque la position du cheval principal, dans l'esquisse, est vu de côté, les jambes parallèles, tandis que le cheval du Louvre est vu, toujours de côté, mais les antérieurs sont légèrement déplacés vers le haut. Visuellement, cette petite différence a d'importantes conséquences sur le dynamisme même de la mise en page et sur l'ensemble de la morphologie du cheval. L'encolure et surtout la tête du cheval du Louvre sont très légèrement plus grandes et un peu plus fines. Toujours dans la version du Louvre, la tête du cheval, au second plan, a été totalement repensée. Elle se dégage de l'encolure du cheval principal ce qui a encore permis à Géricault d'accentuer cet air curieux, son regard presque coquin (Bazin, lui, parle d'inquiétude) destiné à interpeller sinon à dialoguer avec le spectateur. Géricault, par rapport à son esquisse initiale a encore tenté un important ajout. L'examen du tableau du Louvre aux rayons infrarouges a en effet montré, dans l'angle supérieur droit, " la tête et le corps d'un cheval que l'artiste a recouverts " (3). Précisons que ce cheval était vu de dos, sa tête de profil tournée vers le cheval du second plan. L'ajout de ce troisième cheval modifiait considérablement l'équilibre du tableau (les chevaux du fond prenant trop d'importance) et transformait le climat psychologique de cet intérieur d'écurie. En prenant la décision d'effacer ce troisième cheval, Géricault revenait à l'idée initiale de son esquisse qui était bien celle de faire le portrait d'un superbe cheval bai-brun, dans la pénombre d'une écurie, et non de peindre une simple scène de genre équestre (comme en faisait Horace Vernet).
Très tôt, dès 1812, on sait avec certitude que Géricault a multiplié les esquisses et les dessins préparatoires pour chacun de ses tableaux. Ce travail sériel qui ne cesse d'intriguer les historiens de l'art a été magnifiquement décrypté par Marc Le Bot : " Pour la première fois dans l'histoire de l'art, la sérialité différentielle devient une pratique générale commune à trois générations d'artistes au moins. On la trouve chez Ingres, chez Delacroix, elle est encore reprise par Monet […]. La mise en œuvre de ce principe par Géricault, sa liaison avec l'univers obsessionnel du peintre font que ses esquisses, ses travaux inachevés paraissent aujourd'hui plus significatifs que ses rares tableaux "finis" " (4). Dès 1848, Gautier avait noté l'existence de cette méthode sérielle et l'importance fondamentale des esquisses : " […] car le peintre enlevé si tôt aux arts, a encore mieux dit les secrets de son génie dans ses esquisses, ses croquis et ses ébauches, que dans ses tableaux " (5). Gautier, en cela, rejoignait le constat de David d'Angers (1834) : " Une esquisse d'un grand maître plaît davantage et fait plus rêver que le tableau fini " (6).
La découverte de l'esquisse préparatoire pour le 'Cheval espagnol' du musée du Louvre a ceci de passionnant qu'elle nous oblige à comprendre et à accepter l'esthétique romantique de Géricault. Le tableau du Louvre, malgré son caractère esquissé (selon les critères du néoclassicisme), est en fait un tableau ultra-fini, travaillé et repensé. La merveilleuse facture de l'esquisse sur papier, en camaïeux de brun, atteste qu'il s'agit d'une véritable étude sur nature. Une impression que confirme non seulement le peu d'épaisseur de la couche picturale, l'aspect très brossé du fond et de la robe, mais encore, pour le cheval du premier plan, des traits sous-jacents à la plume qui ont permis à Géricault de mettre rapidement en place l'élément principal de sa composition (visibles grâce à l'analyse multispectrale, fig. 2). Enfin, dans le tableau qui nous intéresse, le prétexte de la magnifique robe de ce cheval baie-brun au repos a encore permis à Géricault d'explorer la complexité du clair-obscur, c'est-à-dire la subtile traduction picturale de la lutte entre l'ombre et la lumière. L'écurie, espace ouvert et clos tout à la fois, était bien l'endroit idéal pour tenter de maîtriser cette étrange alchimie.

- Fig. 1. Théodore Géricault, 'Cheval espagnol dans une écurie', vers 1813-1814, huile sur toile, 50 x 61 cm, Paris, musée du Louvre (Inv. 4890).
- Fig. 2. Théodore Géricault, 'Étude de cheval espagnol dans une écurie', photographie infrarouge noir et blanc, ©Lumière Technology.

Bruno Chenique

Docteur en Histoire de l'art
Ancien pensionnaire à la Villa Médicis (Rome) et au Getty Research Institute (Los Angeles)
Membre de l'Union française des experts.

Cette œuvre sera incluse dans le 'Catalogue raisonné des tableaux de Théodore Géricault', actuellement en préparation par M. Bruno Chenique. Un avis en date du 4 décembre 2009 sera remis à l'acquéreur.

Ce lot est présenté par Monsieur René Millet.

1- Jean-Claude Chabert, " École française. Géricault ", 'Galerie des peintres ou Collection de portraits des peintres les plus célèbres de toutes les écoles', t. III, Paris, Chabert, [vers 1829], s.p.
2- De quelle époque peut-on dater le 'Cheval espagnol dans une écurie', conservé au musée du Louvre depuis 1850 ? Clément le datait de 1810-1812 (Charles Clément, 'Géricault. Étude biographique et critique avec le catalogue raisonné de l'œuvre du maître', [1866-1867, 1868], troisième édition augmentée d'un supplément, Paris, Didier, 1879, p. 282, n° 24). Grunchec devait l'inclure dans une fourchette chronologique bien plus large : " 1812-1816 " (Philippe Grunchec, 'Tout l'œuvre peint de Géricault', introduction de Jacques Thuillier, Paris, Flammarion, 1978, pl. X A, coul ; pp. 94-95, n° 57, repr.). Eitner le classait dans les années 1813-1814 (Lorenz Eitner, 'Géricault, sa vie, son œuvre', [1983], traduit de l'anglais par Jeanne Bouniort, Paris, Gallimard, 1991, pp. 47-50).
3- Germain Bazin, 'Théodore Géricault. Étude critique, documents et catalogue raisonné', t. III, 'La gloire de l'Empire et la Première Restauration', Paris, Bibliothèque des arts, 1989, p. 106, n° 599 A, repr.
4- Marc Le Bot, " Géricault (Théodore) ", 'Encyclopaedia Universalis', t. VII, Paris, 1971, p. 692.
5-Théophile Gautier, "Troisième exposition de l'association des artistes. Bazar de Bonne-nouvelle ", 'La Presse', n° 4204, dimanche 13 février 1848, p. 1.
6- André Bruel, 'Les Carnets de David d'Angers', t. I (1828-1837), Paris, Plon, 1958, p. 340


Etude de cheval espagnol dans une écurie
Oil on laid paper mounted on canvas
Bears the number 12 in chalk on the reverse on the traverse of the stretcher
Trace of red wax stamp on the reverse
Dimensions of the paper: 26 x 31,50 cm
26,10 x 33,10 cm (10,18 x 12,91 in.)
This work will be included in the forthcoming 'Catalogue raisonné des tableaux de Théodore Géricault' now being prepared by Monsieur Bruno Chenique. A report from December 4th, 2009 will be delivered to the purchaser.
This lot is presented by Monsieur René Millet.

Contacts

Matthieu FOURNIER
Sale Administrator
Tel. +33 1 42 99 20 26
mfournier@artcurial.com

Absentee bids & telephone bids

Kristina Vrzests
Tel. +33 1 42 99 20 51
bids@artcurial.com

Actions