Comment:
Exquise esquisse pour 'Le rêve du bonheur' (1819), où la lumière diaphane baigne l'Amour, dont la forme est dessinée par un dégradé de craie comme une poussière d'étoiles éthérée, sublimement atmosphérique. Son Amour nautonien, auréolé d'un sfumato velouté, oscille dans le mouvement des rames entre Léonard et Girodet, nimbé de lumière, singulier pour l'éternité. La compagne et élève de Prud'hon signe l'œuvre peinte, présentée au Salon de 1819 et acquise par Louis XVIII. Une famille fuit la bourrasque, réfugiée au creux d'une barque idéale, que la Fortune tire vers la lumière, aidée par l'Amour qui accompagne l'effort de la rameuse avec confiance. Prud'hon inventa la composition mais l'idée lui fut probablement soumise par Constance Mayer, ancienne élève de Greuze, dont on connaît un dessin de sujet similaire (voir Bazin, opus cité supra). Il dessina une étude précise pour chaque figure avec un soin particulier (voir Laveissière, opus cité supra). Il participa sans doute à l'exécution peinte mais laissa la gloire de l'œuvre à son amante. Germain Bazin analyse à merveille la relation étonnante et compliquée de ces amants au travers de cette œuvre : " On conçoit que ce tableau ait été cher à Prud'hon et que sa délicatesse ait voulu en laisser tout le mérite à Constance Mayer. Ce 'Rève du Bonheur', c'est bien l'image de notre " lunologue " qui rêva sa vie plus qu'il ne la vécut, car il ne vécut que le désir. Comme Raymond Regamey a raison, lorsque dans le livre si délicat qu'il publia sur cet artiste, il dit que Prud'hon ne rencontra Mlle Mayer, mais qu'il l'inventa ! Il lui fallait cet amour impossible, afin qu'il ne se pût nourrir que d'illusion " (opus cité supra). La fusion amoureuse et artistique de Prud'hon et Constance Mayer avait trouvé son expression dans cette fable improbable, mais dont le romantisme nous ravit. Comme le dit David en un hommage contrarié par son génie inclassable : " Il n'est pas donné à tout le monde de se tromper comme lui " (in 'Pierre-Paul Prud'hon', Actes du Colloque, Musée du Louvre, 2001, Sylvain Laveissière, p. 206). Sept ans plus tard lorsque Constance Mayer se rendit compte que Prud'hon ne voulait pas se remarier avec elle, elle eut l'épouvantable courage de se trancher la gorge en se regardant dans sa psyché.